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ÇA SUFFIT !

Résumé : La crise économique de 2008 qui a balayé la planète, suivie du Printemps arabe en 2011 et d’autres manifestations qui se sont répandues dans plusieurs pays du monde, ont eu des répercussions sociales et politiques considérables qui se répercutent encore de nos jours. L’auteur jette un œil critique sur cette situation et tente d’en comprendre la nature, les causes et les effets. Il en examine les conséquences dans une perspective de long terme.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

Depuis quelques années, et plus spécifiquement depuis 2008, la situation du monde dans son ensemble semble s’être détériorée, tant aux plans économique et social que politique. Partout, on ne voit que crise du chômage, manipulations des marchés, corruption scandaleuse aux plus hauts niveaux des pays industrialisés ou en voie de développement, dislocation et même disparition de pans complets de secteurs économiques, désaffection des citoyens de la vie et de l’avenir de leur pays, isolement et solitude des gens et bien d’autres symptômes qui ont des effets dévastateurs sur la vie en société. On pourrait croire que cet état est particulier à une partie du globe, mais il n’en est rien. Cette situation est généralisée, comme une gangrène qui attaque graduellement le corps pour finalement le tuer. Une des conséquences de la mondialisation est justement d’étendre rapidement tant ses bienfaits que ses maladies. Ce phénomène constitue une des pires crises que l’humanité ait connues : il est temps de s’élever contre cet état de fait.

Lors du Printemps arabe de 2011, un cri d’alarme et de ralliement avait été lancé : Kéfaya, qui veut dire ça suffit ! en arabe. Kéfaya à la corruption du régime, kéfaya à la pauvreté, kéfaya à la division sociale… Autour de ce slogan, tous les partis d’opposition au régime Moubarak, y compris la grande majorité généralement silencieuse, s’étaient rassemblés comme un seul homme et leur force commune avait été déterminante pour faire chuter le régime. Comme ces Égyptiens qui n’ont pas eu peur de descendre dans la rue pour manifester leur ras-le-bol, il est temps que les habitants de la planète aussi s’unissent pour changer l’état de servitude et de crise sociale qui existent dans le monde. Il faut que ça change ; les choses ne peuvent plus continuer ainsi. Ça suffit ! Kéfaya !

Qu’est-ce qui ne va donc pas ? Pourquoi, comme simples citoyens, devons-nous nous mobiliser pour le changement ? Et d’abord, que faut-il changer ? Quelles sont ces « choses » qui ne fonctionnent plus ? Cette crise générale mérite-t-elle une « sainte colère » ? Contre quoi et contre qui ?

Voilà quelques questions qui méritent notre attention. Pour ma part, j’ai été interpellé par ce malaise mondial en prenant connaissance de l’état du chômage, particulièrement chez les jeunes, en Europe et en Amérique-du-Nord, il y a quelques années. Lors d’une entrevue à Radio-Canada, en juin 2013, une jeune Espagnole avouait en être arrivée à vendre ses organes pour nourrir ses enfants. C’est là que, tout à coup, j’ai pris conscience que le chômage était un symptôme parmi plusieurs autres et que le mal était bien plus profond. On pourrait comparer le marasme auquel nous sommes tous confrontés à un iceberg dont on ne voit qu’un dixième hors de l’eau et qui cache tous les dangers sous l’océan opaque.

Je ne suis pas économiste et, même si j’aborde des questions traditionnellement réservées à ces spécialistes obtus, je ne fais qu’observer et tenter de comprendre le monde dans lequel nous vivons. Je ne suis pas non plus sociologue ou politologue et loin de moi l’idée de donner à mon propos un caractère quasi scientifique, comme le font trop souvent ces commentateurs des « sciences » sociales. Je me place dans la perspective d’un simple citoyen en quête d’éclaircissements sur les problèmes du monde afin de trouver une explication pertinente, même si de prime abord elle pourrait sembler simpliste.1 Ces questions sont trop importantes pour être laissées aux seuls économistes, politiciens, sociologues ou hommes d’affaires. Il est temps que de simples citoyens débattent de ces sujets et influencent le cours des choses.
 

Le chômage

Les chiffres de 2012 sont ahurissants : 50 % et plus chez les jeunes Grecs et Espagnols. Plus du double du chiffre de 2000 ! L’Italie, l’Irlande et le Portugal suivent de près avec des taux au-dessus de 30 %. L’Europe est dévastée. La situation n’est guère mieux aux États-Unis, surtout parmi les minorités noires et hispanophones. En 2012, Krugman estime le chômage à « à peu près 15 % de la population active, soit, en gros, le double du chiffre d’avant la crise de 2008… 17 % chez les moins de vingt-cinq ans ». Le chômage des jeunes se situe à 14 % au Canada. Ces données sont celles émises par les institutions, mais on peut aisément penser que les chiffres réels sont plus élevés puisque cette situation perdure et qu’un grand nombre de jeunes ne font plus partie des statistiques, ayant abandonné leur recherche d’emploi. Il y a, bien sûr, quelques variations en fonction du niveau d’éducation, mais pas suffisamment pour qu’elles soient porteuses d’espoir. Ces chiffres ne tiennent pas compte de la situation de sous-emploi ou de gaspillage de talents et de formation. Un diplômé sur quatre se trouve sans emploi ou travaille à temps partiel. De plus, « le salaire de ceux qui travaillent a baissé considérablement », affirme Krugman qui parle de vies brisées, de réelle tragédie, de dommages sur le moral des Américains, de souffrance sans frontière, de détresse, de perte d’avenir », bref ajoute-t-il « nous vivons une époque terrible pour les jeunes ».

Ce drame humain va avoir des répercussions sur l’avenir des sociétés affectées, en Europe et en Amérique d’abord, mais également en Afrique et en Asie. Personne ne sera épargné. Dans tous les pays du monde, on claironne fièrement que « la jeunesse constitue l’avenir ». Fort bien. Mais quand cette jeunesse est formée et qu’elle se tourne les pouces, il faut sérieusement s’inquiéter. Des solutions-cataplasmes à répétition ne suffiront pas.

Dislocation/délocalisation

Elles sont les deux mamelles de l’appauvrissement général et du marasme dans lequel se trouve le monde entier. N’en déplaise aux mondialistes qui nous ont seriné ad nauseam les bienfaits des fermetures d’usines, des transferts d’emplois vers l’Asie dans le but de fabriquer à meilleur marché au bénéfice du consommateur : cela a eu des conséquences graves sur nos économies occidentales. En fin de compte, le consommateur a-t-il réellement obtenu de meilleurs prix ? Rien n’est moins certain. Seuls les actionnaires des sociétés qui ont transféré leurs usines vers l’Asie ont profité de ce mouvement, non pas parce qu’il ajoutait de la valeur à l’entreprise et créait ainsi une richesse réelle, mais plutôt parce que les analystes financiers ont escompté des profits à venir. Or, bien souvent, ces profits ne se sont pas réalisés. Entre-temps, le chômage de travailleurs d’expérience dans des secteurs pourtant florissants comme le furent le textile, l’acier ou l’électronique a augmenté considérablement. Cette masse de travailleurs grisonnants était (et sont encore) difficilement « recyclables » : même avec la formation la plus sophistiquée et les meilleures intentions du monde, il est difficile de recycler une ancienne couturière en une analyste fonctionnelle. Il faudrait sacrifier une ou deux générations avant de rétablir l’équilibre entre l’offre et la demande de main-d’œuvre. Des secteurs entiers de l’économie ont donc disparu, causant des drames humains immenses, accompagnés d’une déchirure importante du tissu social. De plus, l’expertise et les connaissances des travailleurs remerciés s’éteignent avec eux. Si un jour (que certains estiment proche) le mouvement inverse s’amorce et que les entreprises reviennent à nouveau vers leur pays d’origine, elles ne trouveront plus ces ressources essentielles. Il faudra repartir à zéro et former des travailleurs à certains métiers de base et ce, à des coûts prohibitifs.

Que dire de la perte de consommateurs que constitue ce chômage élevé au sein de ce qui fut la classe moyenne ? Avec l’érosion de ce groupe, on assiste graduellement à une baisse de la consommation et du niveau de vie. N’est-il pas étonnant que la croissance des super-magasins à rabais, tels que Wal-Mart et Target, coïncide avec cette hausse du chômage et l’appauvrissement général ?

On pourrait penser que ces délocalisations ont été bénéfiques aux pays récepteurs. Rien n’est moins sûr. Là encore, faute d’assimilation de connaissances et de valeurs, la bouchée a été trop grosse : ces sociétés ont de la peine à intégrer cette manne venue de l’Occident. Seule une infime minorité s’est enrichie de façon éhontée et hors de toute proportion. La majorité s’échine dans des sweat-shops dans des conditions proches de l’esclavage. La création d’une classe moyenne dans les pays en voie de développement tarde à venir et on se retrouve essentiellement avec deux classes sociales : une infime minorité immensément riche dans un océan d’une grande pauvreté.

Des deux côtés de la table, il y a donc des perdants. La preuve des bienfaits découlant de la dislocation/délocalisation est loin d’être faite. Cependant, nous l’acceptons tous comme une réalité indéniable, immuable, inévitable. Pourtant, c’est une question qui mérite notre entière attention.

L’endettement

Les économistes auront beau nous faire croire que l’endettement souverain ne se gère pas de la même façon que l’endettement des ménages, il n’en demeure pas moins que dans les deux cas, un endettement élevé restreint la marge de manœuvre et réduit l’endetté à un état de dépendance vis-à-vis ses créanciers. Quelques exemples : selon le FMI, la dette publique calculée en % du PIB (2011) s’élève à 229 % au Japon, 120 % en Italie, 85 % au Canada, 86 %, en France, 81 % en Allemagne et 103 % aux États-Unis.

Bien sûr, quand deux pays sont étroitement liés par des dettes, parce que l’un achète les obligations de l’autre, ils sont tous les deux imbriqués dans une relation si intime qu’ils deviennent essentiellement partenaires, « en symbiose ». À titre d’exemple, la Chine détient 1 900 milliards de dollars, soit 22 % de la dette américaine, selon le Trésor américain (2010). La Chine et les États-Unis sont ainsi étroitement liés dans une étreinte étouffante. L’un ne peut pas bouger sans l’autre : si la Chine vend en masse ses obligations, elle fait chuter le dollar, ce qui lui serait nuisible. Inversement, les États-Unis ne peuvent pas ignorer la Chine dans la formulation de leur politique monétaire. On pourrait penser que cela est bon pour l’équilibre commercial et politique du monde alors qu’en fait ce bras de fer entraîne des contraintes qui ont des répercussions sociales et politiques insoupçonnées. Il devient difficile de s’influencer mutuellement ou même de tenir un dialogue constructif quand chaque parti tient une arme destructrice sur la tempe de son « partenaire ». Les sujets de discussion essentiels aux deux parties, tels que les droits de l’homme ou la protection de l’environnement, sujets chers aux Occidentaux, ne peuvent pas être abordés, encore moins réglés, avec la Chine.

Quant aux consommateurs, l’endettement restreint leur marge de manœuvre et entraîne des obligations comparables aux travaux forcés. L’érosion de l’épargne, la hausse des coûts d’emprunt et de remboursement de cette dette précarisent l’avenir de sociétés entières. Il faut puiser dans le bas de laine accumulé par les générations précédentes pour payer l’épicerie et cela efface toute possibilité de retraite.

Les économistes ne sont pas tous d’accord avec cette approche conservatrice, car elle pourrait comporter certains effets pervers : à force de vouloir réduire la dette, on freine les dépenses et conséquemment l’économie dans son ensemble ralentit. Krugman fait ce constat lapidaire : « Nos revenus sont faibles précisément parce que nous dépensons trop peu ». Il me semble que l’inverse nous entraînerait à la catastrophe ! Dépenser en vue d’accroître nos revenus ? D’où proviendrait cet argent ? Et qui réglerait la dette ? Nos enfants et nos petits-enfants ?

Il me semble que les économistes pensent sans doute que la dette se paiera d’elle-même pourvu que 1) la croissance démographique se poursuive, 2) l’innovation technologique et informatique avance rapidement et 3) l’augmentation de gains de productivité et d’efficacité entraîne une richesse réelle. Or, ces trois facteurs atteignent un plafond tôt ou tard : la technologie et l’amélioration des procédés et du travail en général ont une limite qui mène à une stagnation. On entre très vite dans une phase de rendement décroissant. On investit beaucoup d’efforts, de temps et d’argent pour des résultats de moins en moins intéressants.

Je crois qu’il faut assainir les finances non seulement par des efforts d’épargne mais aussi de croissance de productivité et d’efficacité durant certaines périodes de temps afin de permettre de « digérer » le trop-plein de dette. L’accroissement des dépenses par un endettement élevé ne fait que repousser en avant des problèmes de liquidité et d’inflation qui seront des charges énormes pour les générations à venir et qui réduiront considérablement leur marge de manœuvre. Sans parler d’appauvrissement généralisé.

Les multinationales

Les grandes sociétés ont des filiales à travers le monde constituées en un vaste réseau tentaculaire qui les place au-dessus des pays dans lesquels elles se trouvent. Elles traversent les frontières et déplacent leur argent suivant leurs objectifs et leurs stratégies, sans égard aux intérêts des pays. Ils investissent fréquemment là où les gouvernements locaux leur accordent les meilleurs avantages sous forme de prêts, de garanties, d’exonérations fiscales et autres concessions spéciales. Ces grandes sociétés, dont le chiffre d’affaires et les profits sont souvent plus élevés que le PIB des pays-hôtes, imposent leurs lois et leur culture là où ils s’installent. Certaines d’entre elles ne paient pas de taxes locales, ou très peu, comme cela a été révélé en juin 2013 dans le cas de Apple, par exemple.

Un des effets pervers de ce chantage à grande échelle est que les gouvernements n’ont presque plus de marge de manœuvre pour orienter et diriger leurs économies. Comment appliquer une stratégie de développement industriel, une politique fiscale ou monétaire quand un pourcentage élevé du PIB est entre les mains de multinationales qui déplacent leurs fonds suivants leur humeur et leurs intérêts particuliers ? Les citoyens comprennent ce jeu, constatent l’impuissance de leurs gouvernements et ne peuvent que se sentir démunis et accablés sous le joug de ces superpuissances transnationales.

La démocratie et l’argent
 

La démocratie s’érode et disparaît graduellement, même dans les pays qui s’en réclament fièrement ! Nous vivons dans l’illusion d’une démocratie égalitaire et universelle, dans un état qui garantit nos droits fondamentaux. Nous croyons que notre droit de voter nous prémunit contre les abus, les profiteurs et les dictatures. Rien ne peut être plus loin de la vérité. En Occident, comme en Orient, nous vivons dans des états totalitaires ou qui tendent fortement à le devenir, dirigés par des minorités qui manipulent les votes et organisent la démocratie à leur avantage et à celui de leur clique, uniquement. On devrait plutôt parler d’oligarchie. Deux exemples pour illustrer ce constat : le lobby des intérêts particuliers aux États-Unis, comme celui des armes à feu ou du tabac et leur emprise sur le Législatif et l’Exécutif. Malgré la démonstration de l’effet néfaste des produits qu’ils représentent et de l’opposition massive des citoyens à ces produits, ces deux lobbies réussissent à manipuler et à contourner les lois. Ils sont indélogeables. Malgré la hausse des meurtres en série et des crimes dus aux armes à feu, la NRA continue impunément ses campagnes de promotion. Second exemple : la divulgation en juin 2013, par Snowden, de l’espionnage par le gouvernement américain de ses propres citoyens ainsi que des chefs d’État des pays amis, en Europe et ailleurs dans le monde. Est-ce une façon de promouvoir la démocratie, la justice, la transparence ? Tout à coup, l’État (ou peut-être quelques fonctionnaires zélés sanctionnés par les plus hauts niveaux du gouvernement) s’érige comme juge et se place au-dessus des lois afin d’exercer une surveillance et un contrôle indus de ses propres citoyens. C’est le scénario de 1984.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La réalité a rejoint la fiction et l’a peut-être même dépassée… il est aisé de citer d’autres exemples pour démontrer la disparition de la démocratie. En voici deux : la soi-disant victoire de Bush contre Gore aux élections présidentielles de 2000, ou encore les guerres entre les nations, comme l’invasion américaine de l’Irak en 2003 qui s’est faite sans consultation, voire même contre la volonté des citoyens.

L’argent est le nerf de cette guerre qui mène à l’érosion de la démocratie. Les grands groupes d’intérêt disposent de moyens financiers considérables, au-delà de toute imagination. Ils peuvent donc aisément non seulement influencer, mais carrément diriger la politique d’un pays.

Cette érosion de la mécanique démocratique entraîne un cynisme, un découragement et une désaffection des citoyens face à la chose politique. Ils réalisent qu’ils ne disposent plus des ressources nécessaires pour reprendre le pouvoir et leur destinée en main.

Où est l’opposition ?

Tout système politique, surtout s’il se veut le moindrement démocratique, doit être fondé sur l’équilibre des forces d’une nation. Tout pouvoir doit être balancé par un contre-pouvoir. À l’origine, c’est ce qui faisait la force de la démocratie américaine, comme l’a bien présenté Tocqueville. Cette confrontation continue entre les trois sources de pouvoir, législatif, exécutif et judiciaire, créait une tension dynamique et équilibrée qui ne pouvait qu’être bénéfique à tous les citoyens. Si la politique est l’art de composer avec les opinions et désirs les plus divergents, cette façon de gérer les oppositions apporte un équilibre relatif où chacun y trouve son compte, par la force du compromis. Or, aujourd’hui, force est de constater que cet équilibre ne joue plus et seuls les intérêts d’une minorité, souvent animée par une idéologie centrée sur l’argent, dominent toute la scène. Où est donc l’opposition ?

Il faut bien constater que les mouvements de gauche ont perdu du terrain dans la majorité des pays d’Occident et ce n’est pas la France avec Hollande qui va démontrer le contraire. Avec la chute du mur de Berlin, le communisme a implosé et a révélé sa faillite interne. Les politologues et philosophes américains avaient vite proclamé à l’époque la « fin des idéologies » et la victoire du modèle capitaliste. Malheureusement, entre le capitalisme et le laisser-faire, il n’y avait qu’un pas que tous les profiteurs avides et sans conscience ont rapidement franchi. C’est au nom de ce néo-libéralisme économique débridé qu’ils ont pris les rênes de l’Occident, de Thatcher à Bush réunis, et qu’ils ont dirigé les affaires du monde, appelant à la guerre si nécessaire.

Gare à ceux qui élèvent leur voix pour dénoncer le dérapage du capitalisme vers l’anarchie économique ou encore pour faire entendre la moindre opposition à l’invasion d’un pays ! Ils seraient automatiquement taxés de traîtres à la nation. Les médias qui influencent l’opinion publique aux États-Unis sont en grande partie de droite ou d’extrême droite, avec Fox News en tête.

L’intelligentsia américaine, généralement centrée autour de quelques grands journaux et universités de la côte est et de Californie, ne semble pas se manifester, ou pas suffisamment, pour dénoncer haut et fort les abus du pouvoir central. Cette faible présence a laissé la place à toute une mouvance de droite qui, elle, ne se gêne pas pour arracher de force une opinion publique de nature inculte et faible. Alors qu’il y a quelques années encore, on pouvait compter sur les Démocrates pour proposer des programmes politiques et économiques qui favorisaient une société plus juste, aujourd’hui, malheureusement, ils plient et Obama est l’exemple d’un Président qui s’est dégonflé face à l’opposition. Il avait pourtant été élu dans un élan d’espoir délirant et une volonté inébranlable de tout changer. Yes, we can ! Il aura démontré en quelques années qu’il est difficile de vaincre par le simple verbe un ennemi aussi redoutable que l’argent.

Avec l’absence d’une opposition articulée à cette course effrénée à l’argent, le citoyen moyen abdique devant la tâche impossible d’amorcer quelque changement que ce soit.

La gestion par la peur

Comment réduire et même éliminer toute velléité de changement social chez le citoyen ? Créer un climat de peur, d’insécurité et d’anxiété pour le pousser à accepter son sort plutôt que de tenter de le changer. C’est une vieille tactique que tout chef d’État a utilisée à un moment donné, des Grecs de l’Antiquité à nos jours. Généralement, le dirigeant invoque une menace, parfois fictive, venant souvent de l’extérieur, ou qui présente un danger à la « civilisation », comme on l’a vu avec la soi-disant existence « d’armes de destruction massive » en Irak. Le chef d’État promet alors d’imposer des mesures « spéciales et temporaires » (mais qui durent tout son règne) afin de répondre adéquatement à ce danger et de ramener la sécurité à laquelle a droit le citoyen. Cet argument a été utilisé tout au long de l’Histoire et pourtant les citoyens se font berner à tout coup. Et ceux qui osent poser des questions sont réduits au silence, de façon souvent musclée.

En Occident, si la menace du communisme a disparu, elle a été vite remplacée par une autre bien plus sournoise, difficile à cerner et à localiser : le terrorisme. Al-Quaïda est un ennemi qui peut-être habite parmi nous, qui a infiltré notre pays et dont il faut se méfier. Ben Laden, personnage pourtant créé par la CIA, a été étonnamment introuvable durant des années et cette situation a permis une dérive vers un contrôle tous azimuts des citoyens des États-Unis et de bien d’autres pays, allant jusqu’à la surveillance illicite de leurs communications les plus anodines. Graduellement, cela a permis l’installation d’un état policier et une restriction sans pareille des droits et libertés. La population a encore une fois baissé la tête, résignée, muselée et impuissante face aux « intérêts supérieurs de la Nation ».

La consommation

Mais ne vous inquiétez pas outre mesure, bonnes gens ! Continuez à consommer ! Voilà le conseil du Président Bush quelques heures après la destruction des deux tours du World Trade Center… remettez votre biberon en bouche et tétez tranquillement, nous nous occupons du reste ! Votre sécurité n’est pas en danger, mais, de grâce, reprenez vos habitudes de consommation effrénée ! Il n’y a rien de tel pour endormir une population, pour émousser ses revendications.

Beaucoup a déjà été écrit sur notre société de surconsommation et sur les effets pervers que ce mode de vie entraîne. Je ne retiens ici qu’un seul exemple : la consommation a pour effet d’anesthésier le citoyen et de le placer dans un état amorphe qui le rend incapable d’exercer quelque jugement et le berce dans l’illusion qu’il sera plus heureux s’il possède davantage. Les empereurs romains ont été pointés du doigt pour avoir centré leur politique interne sur « du pain et des jeux » menant à terme la chute de Rome. Sommes-nous en train de vivre ce même scénario à notre insu ?

Maintenant !

Tout le monde veut plus… et maintenant ! Sans effort ! Cette course à la consommation étant creuse, elle laisse le monde toujours en appétit, toujours en mode de vouloir combler un vide indéfinissable. De plus, on refuse de reconnaître qu’il faudrait parfois remettre un achat pour le satisfaire plus tard : il faut consommer immédiatement ! Même l’effort qui devrait accompagner la satisfaction d’un besoin est renié. Nous sommes devenus des consommateurs qui en veulent plus tout de suite, sans effort. Le moindre texte de deux pages nécessitant un peu de réflexion devient une corvée et la mode est aux résumés et aux lectures en diagonale, provenant de sources souvent peu fiables charriées par l’Internet. À force d’avoir été conditionné à acheter sans réfléchir, pour le citoyen, consommer est devenu un droit quasi inaliénable.

Le credo à la mode aujourd’hui est : « Vouloir plus, maintenant, sans effort ». Cela a pour conséquence d’éliminer tout jugement dans les gestes que l’on pose. Le besoin d’acquérir devient si impérieux que l’on en arrive à perdre tout sens éthique.

La notion de long terme semble également avoir été évacuée du discours public. Peut-être est-ce dû à la technologie qui nous a habitués à des réponses instantanées ; il n’y en a plus que pour l’immédiat, le « ici et maintenant ». Le long terme se résume bien souvent au prochain semestre. Les entreprises, et par effet d’entraînement, toute la société, vivent en fonction de résultats mensuels. L’horizon de temps d’un politicien se limite bien souvent au terme de son mandat, quatre ou cinq ans tout au plus.

Or, des programmes sociaux ou économiques, pour qu’ils aient quelque valeur, doivent être mûris, énoncés et implantés sur des périodes bien plus longues. Un exemple récent : le Président Obama a prononcé un discours le 24 juillet 2013 où il dénonçait les « forces qui ont conspiré depuis des décennies contre la classe moyenne »2. Il appelait au renforcement de la classe moyenne afin d’assurer la prospérité à long terme des États-Unis. Et il ajoutait du même souffle : « Ce qu’il nous faut, ce n’est pas un plan sur trois mois ou même un plan sur trois ans, mais une stratégie américaine à long terme, sur la base d’efforts persistants »3. Il souligne ici les deux variables essentielles : le long terme et l’effort persistant. Mais rassurez-vous : ce discours ne changera rien à la situation. Obama achève son mandat dans quelques mois et ces mots sages ne servent qu’à lui donner bonne conscience. Personne ne veut d’effort et encore moins de long terme. Pourtant, quelle lecture réaliste et juste de la société américaine et, par extension, mondiale…

Non seulement les discours des dirigeants politiques et économiques semblent avoir évacué toute vision de long terme, mais la plupart des références temporelles renvoient à une certaine finalité du temps, voire à une vision apocalyptique. Nous sommes rendus à l’une des dernières étapes de la fin de notre civilisation. Dès les années 1980, certains penseurs sociaux et philosophes américains faisaient allusion à la « fin de l’Histoire », à la suite du livre de Fukuyama, dans lequel il présentait sa thèse à l’effet que le monde avait atteint, grâce à la démocratie libérale, la forme achevée du gouvernement des hommes. Le capitalisme venait d’être élevé au rang des religions les plus sages et les plus désirables pour l’Homme ! Enfin, la civilisation humaine avait accompli sa destinée ! Nous pouvions dorénavant dormir sur nos lauriers. La fin des temps était imminente. Depuis, Fukuyama a modifié son point de vue, mais les dommages étaient faits et demeurent encore. Un exemple, sur un mode plus léger : On décrit les générations successives depuis quelques décennies avec une lettre de l’alphabet, non pas A, B ou C, mais bien X ou Y. Z étant trop définitif, on a préféré accoler le terme « millenia » à la génération suivante, celle qui est née au tournant du millénaire. Quelle étiquette va-t-on attribuer aux générations à venir ? L’alphabet est épuisé !

Malheureusement, il faut bien constater que nos hommes politiques font rarement preuve d’une vision de longue portée, s’attaquant à de réels problèmes de société. Rares sont les discours qui soulèvent l’enthousiasme général et rallient les citoyens autour d’objectifs élevés qui seraient bénéfiques aux générations à venir, quel que soit le prix à payer. De par leur nature, de tels discours nécessitent une élaboration sur une longue période de temps qui dépasse le terme du mandat de tout homme politique. On se contente de la langue de bois.

Quel est l’un des effets de cette vision centrée uniquement sur le court terme ? Elle crée, à mon avis, un climat « crépusculaire » dans notre société et amène le citoyen à prendre une attitude de résignation face à une mort collective imminente. Au mieux, on s’accrochera au passé, on essaiera de le récupérer, de le recréer dans un effort ultime de nostalgie délirante.

Le cas de la protection de l’environnement et des changements climatiques illustre bien ce point. Après avoir nié durant des décennies l’impact des gaz à effet de serre, sans doute pour protéger l’industrie de l’automobile et celle du pétrole et pour les remercier de leur appui financier, les gouvernements se réveillent tout à coup et déclarent tout bonnement que le temps est venu d’agir pour corriger la situation. Malheureusement, l’ère des discours et des séminaires est passée et Kyoto a pris des années pour accoucher… d’une souris ! Le plan élaboré n’est pas suivi avec la même détermination par toutes les nations. Le Canada s’est retiré de l’Accord et la Chine, sans doute l’un des pires pollueurs sur la planète, continue de sévir. Entre-temps, qui se préoccupe des méfaits de la pollution et des changements climatiques observables à travers le monde ? Cela prendra sûrement plusieurs décennies pour rétablir des conditions climatiques acceptables. Pas un politicien sérieux ne s’engagera dans un tel programme, car il serait trop long à réaliser et ses bénéfices trop lointains à récolter.

Voyons quelles sont les conséquences des changements que nous avons décrits.
 

L’anesthésie générale

L’érosion de l’emploi, le chômage des jeunes, la surconsommation et le manque de vision à long terme ont un effet profond sur la société. Ils créent, à mon avis, un sentiment d’impuissance, de pessimisme, de désaffection et de soumission du citoyen face à son destin. C’est comme s’il subissait une anesthésie générale à son insu, injectée par des dirigeants politiques, économiques et sociaux qui ont mis en place toutes les conditions pour le maintenir dans cet état. On lui a donné « du pain et des jeux » qui lui ont fait oublier l’état d’aliénation dans lequel il se trouve. La notion de « quête du bonheur », à la base des démocraties occidentales, a été remplacée par la consommation de gadgets inutiles et de simulacres de pouvoir politique.

Pourquoi le citoyen accepte-t-il ainsi son sort ? À mon avis, cela est dû en grande partie aux conditions économiques et aux filets sociaux qui lui assurent une vie plus ou moins décente. Grâce à eux et malgré un taux de chômage galopant, les gens n’ont pas assez mal ou assez faim pour descendre dans la rue et réclamer les changements qui leur sont dus. Les expédients auxquels ils ont recours, soit l’assurance-emploi, emploi temporaire, gratuité scolaire et médicale et autres, suffisent pour leur maintenir la tête hors de l’eau et survivre.

Mais est-ce une vie ? Combien de temps encore cela peut-il durer ?

Pourquoi ?

Il me semble que l’une des causes de cette détérioration générale à travers l’Occident, et sans doute à travers le monde, est l’érosion des valeurs sociales au fil des ans. La tolérance des inégalités, de la collusion et de la corruption, le retrait graduel des citoyens de la vie de leur pays, l’injustice, la désaffection générale, voire l’aliénation et la solitude, le sentiment d’impuissance face à toute possibilité de changer son environnement, tous ces maux proviennent de l’érosion de nos valeurs et de la disparition de notre pouvoir de citoyen.

D’aucuns voudront nous faire croire le contraire. Dans un article paru le 6 juillet dans La Presse, intitulé « Les protestations se multiplient dans le monde », 2013, un certain Moises Naim, associé à la Fondation Carnegie pour la paix internationale et auteur du livre The End of Power (qui annonce sans doute la fin d’un certain monde…) affirme quant à lui que « la presque totalité de ces mouvements de protestations découle d’un phénomène qu’on n’a pas tendance à associer d’emblée aux troubles sociaux : le succès ». Ce serait bien la première fois dans l’Histoire que des manifestants descendent dans la rue le ventre plein et satisfait de leur « succès » ! Ce que prétend cet auteur est une insulte aux Espagnols, aux Égyptiens et aux Brésiliens qui n’arrivent plus à subvenir à leurs besoins de base et qui réclament le droit de travailler pour vivre, tout simplement.

Ce n’est pas la nostalgie d’un passé verdoyant qui incite le retour à un monde où règnent des valeurs de partage, de justice et de compassion. Nous vivons une période de transformations profondes qui s’accompagne bien évidemment de changement sur le plan des valeurs. Or, de nouvelles valeurs qui rallieraient et cimenteraient la société n’ont pas encore émergé. Actuellement, nous évoluons dans une sorte de vide, un no man’s land où les anciennes valeurs sociales ayant disparu ou ayant été sérieusement altérées, sont graduellement en train d’être remplacées par d’autres qui n’ont pas encore pris de forme définitive et qui sont loin d’obtenir l’assentiment général.

L’intégrité des élites, le partage, la protection des plus faibles de la société, le respect des droits de l’homme l’inclusion : voilà quelques valeurs qui ont été des fondations sur lesquelles nos sociétés ont été bâties. Aujourd’hui, ce n’est que corruption, sectarisme, chicanes de clochers (ou de minarets), exclusion, égoïsme. Certains diront que ces vices ont toujours existé dans les sociétés humaines et, comme le dit le dicton québécois, « là où il y a des hommes, il y a de l’hommerie ». Sans aucun doute. Mais il me semble que ces travers sont aujourd’hui plus tolérés et parfois même élevés en vertu. La cupidité a rarement été aussi répandue et se remplir les poches rapidement au détriment des autres, sans égard aux conséquences, est devenu l’idéal qui prévaut dans le monde.

Que faire ?

Lénine posait la même question dans un de ses écrits révolutionnaires. Face aux conditions sociales et politiques qui prévalaient à l’époque du tsar, il se demandait par où il fallait commencer les changements qui entraîneraient l’amélioration des conditions de vie des Russes. Il proposait une stratégie et un plan d’action visant à amorcer la révolution, accompagnés de concepts organisationnels qui assureraient sa permanence. C’est un manuel d’utilisateur, pratique et concret. Sans vouloir en faire un « copier/coller » et surtout pas en accord avec ses finalités politiques, il n’en demeure pas moins que ce petit livre peut être source d’inspiration. Surtout sur le plan de l’éveil d’une conscience politique. Car c’est par là qu’il faut amorcer quelque changement que ce soit.

Il est important que les citoyens sortent de leur torpeur et « se prennent en main et par la main ». C’est l’amorce du processus de changement. Cette conscience politique ouvre la porte à la responsabilisation et à la concrétisation du pouvoir potentiel des citoyens.

Il faut aussi réaliser que comme citoyen, nous ne disposons plus de grands leviers de pouvoir pour assurer les changements requis. Bien sûr, notre droit de vote nous donne l’occasion de choisir nos élus et le programme politique qu’ils veulent implanter. Mais combien de politiciens exposent leur programme politique dans son ensemble ? Ils en gardent une bonne part sous silence et nous réservent de belles surprises une fois élus. Combien de politiciens implantent effectivement les aspects de leur programme qui ont suscité l’approbation des citoyens ? Ne soyons pas naïfs. Le droit de vote nous maintient, nous, les citoyens, dans l’illusion que nous disposons de quelque pouvoir que ce soit. La réalité est tout autre.

Le seul pouvoir que nous exerçons réellement est le pouvoir de la consommation, la façon dont nous dirigeons nos achats. Encore là, nous sommes sous l’influence parfois écrasante de la publicité. Avec notre argent, nous pouvons consommer localement, favoriser une entreprise plutôt qu’une autre, promouvoir tel ou tel produit, service ou cause. Avec notre argent, notre jugement et nos convictions nous pouvons assurer la croissance d’une entreprise, d’un secteur économique ou, au contraire, le boycotter et l’amener à disparaître. Ensemble, les citoyens d’une société, par leur consommation réfléchie et collective, peuvent renverser un régime indésirable, renvoyer une entreprise à sa planche à dessin ou défendre une cause jugée juste. Je ne suis pas le premier à faire ce constat et il me semble que c’est un instrument majeur, sans doute le dernier dont nous disposons.

Avec ce pouvoir de consommation vient l’obligation de bien se renseigner, de développer et d’exercer un jugement critique. Nous abdiquons trop facilement devant l’apprentissage et l’effort qu’il nécessite, préférant remettre cette responsabilité entre les mains d’une instance supérieure. On se fie à d’autres, alors que le jugement avant l’action devrait demeurer entre nos mains ; c’est notre responsabilité personnelle et ultime. Il est primordial de bien se renseigner avant de consommer, que ce soit un savon ou une cause. Car notre argent représente notre seul pouvoir réel. Il ne faudrait pas le gaspiller.

Je crois qu’il est difficile, voire impossible de changer le monde. Par contre, il est aisé de poser un geste local et à notre hauteur avec les simples moyens dont nous disposons, pour améliorer un tant soit peu notre environnement. Si chacun balaie devant sa porte, au bout du compte toute la rue sera propre. Bien sûr, on pourrait toujours affirmer que ce n’est pas à nous de nettoyer la rue ou même devant notre porte, que nous payons assez de taxes pour que ce service soit assuré par la voirie. Mais si on veut que la rue soit propre, pourquoi attendre la voirie ? Pourquoi ne pas prendre notre balai et nos responsabilités, déployer un petit effort et nettoyer devant notre porte ?

Et pourtant, il y a eu au cours des deux ou trois dernières années quelques grands mouvements de contestations de par le monde, porteurs d’espoir. Ces mouvements sont nés d’une protestation générale contre les inégalités, la corruption et les abus des pouvoirs politiques et économiques. Le Printemps arabe en est la démonstration la plus éclatante et a servi de catalyseur et de bougie d’allumage pour plusieurs autres mouvements qui s’en réclament de par le monde. Dans ce contexte, il faut surtout remarquer la force de la jeunesse des pays comme l’Égypte, la Tunisie ou la Libye, mobilisée contre le pouvoir, souvent dictatorial, mais toujours bien incrusté depuis des décennies. Cela a été fait de façon pacifique, unifiée et déterminée. Rien ne pouvait détourner les manifestants de leur but qui était de renverser le régime corrompu en place. Ces jeunes avaient atteint la limite de la soumission et ils avaient faim d’autres choses.

Ils ont aussi su utiliser les nouvelles technologies de communication et les réseaux sociaux à leur avantage pour rallier des populations en grand nombre, et ce, comme jamais cela ne s’était vu dans l’Histoire. La rapidité d’exécution dans la dissémination de l’information est simplement ahurissante. Ces outils seront la pointe de lance de tout changement à venir. Ils pourraient même compenser le manque d’argent qui handicape tout mouvement de contestation.

Ce ras-le-bol universel et cet écœurement face aux extrêmes de toutes sortes a entraîné la création de mouvements de revendications partout à travers le monde. En Turquie, au Brésil, en Afrique, en Bulgarie, à Hong Kong, au Chili, en Indonésie, en Égypte, en Espagne, en Grèce, en Islande, au Canada, en Israël, aux États-Unis, en Russie, en Argentine… rares sont les régions du globe qui n’ont pas été la scène de protestations massives. Partout, jeunes et moins jeunes sont réprimés dans leur quête de changements. Voici quelques mouvements qui ont marqué les dernières années4 :

  1. Mouvement des indignés, né en Espagne en 2011. Influencé par le Printemps arabe, il s’est répandu en Europe et jusqu’en Israël (avec la Révolte des tentes contre la cherté du logement) et aux États-Unis. Caractérisé par l’approche pacifique et les revendications économiques et sociales ;

  2. ATTAC : l’Association pour une taxation des transactions financières et l’action citoyenne, créé en France en 1998. Il vise à forcer les gouvernements à instituer des règles plus sévères à l’encontre des banques transnationales qui participent à l’appauvrissement des pays ;

  3. Occupy : mouvement mondial contre les inégalités économiques et sociales. Il débute en 2011 par une immense manifestation à Kuala Lumpur, suivi quelques mois plus tard par Occupy Wall Street et d’autres manifestations à San Francisco. Présent dans 86 pays, il regroupe plus de 600 communautés aux États-Unis ;

  4. Anonymus : un regroupement-parapluie d’une centaine de communautés d’internautes. Il vise à poser des gestes, parfois carrément illégaux, en vue d’attirer l’attention sur l’état de certains abus économiques. Il serait le successeur de Wikileaks ;

  5. AVAAZ : Mouvement mondial fondé en 2007 qui compte plus de 25 millions de membres auxquels s’ajoutent un million de nouveaux membres par mois. « La mission d’AVAAZ est simple et démocratique : réduire l’écart entre le monde tel qu’il est et le monde voulu par la grande majorité d’entre nous. » Il s’attaque aux questions les plus urgentes, de la pauvreté à la crise du Moyen-Orient et aux changements climatiques. Grâce à des pétitions et à d’autres actions citoyennes qui récoltent des signatures à travers le monde, cet organisme a obtenu des résultats probants. Il réussit à donner toute sa force au slogan « ma voix compte ».

 

Il existe bien plus de mouvements de protestations de par le monde. La plupart sont pacifistes, alors que d’autres sont plus agressifs dans leurs revendications. Mais ils manquent tous d’un ingrédient nécessaire : le leader rassembleur qui va unifier et mobiliser les troupes autour d’objectifs clairs.

Les milliers de manifestants de Place Tahrir se targuaient de ne pas être menés par un seul homme, mais de représenter tout un mouvement populaire. D’autres mouvements de protestations ont été marqués par ce désir de démocratie ouverte et égalitaire. Or, à mon avis, il est nécessaire que ces revendications soient menées par un leader identifiable, un visage et une voix qui rendraient ce discours humain et compréhensible. Un tel chef saura articuler la problématique autour de quelques objectifs clairs et il sera le porte-étendard d’une véritable stratégie de changement. Son discours devra être rassembleur et proposer une vision plus juste de la distribution de la richesse, du respect des droits et de l’opinion d’autrui, de la justice et de l’authentique « recherche du bonheur » pour les générations à venir. Ce leader servirait de figure emblématique et, en dernier recours, de martyr pour la cause du peuple. À cet égard, les exemples sont nombreux : Gandhi, Mandela et Aung San Suu Kyi, pour ne nommer que certains des plus célèbres.

Le risque d’une lutte sans leader visible est double. D’une part, le pouvoir établi, s’il ne reconnaît pas de chef rassembleur face à lui, rejettera en bloc tous ceux qui manifestent en les accusant de n’être que des fauteurs de troubles irresponsables, quelle que soit la nature de leurs revendications. D’autre part, cette absence de leadership crée un vide qui pourrait être rapidement rempli par des opportunistes prêts à prendre le pouvoir et à détourner ainsi la cause de la manifestation. Dans The Guardian, le journaliste S. Milne note « qu’en l’absence de structure et de programme politique clair, les mouvements de protestation auxquels on assiste sont voués à n’être que des feux de paille ou, pire, à être détournés par d’autres groupes plus organisés »5.

L’envergure de la tâche est immense et la complexité des enjeux est à l’échelle de la planète. L’urgence de passer à l’action maintenant est essentielle. La situation actuelle, laissée entre les mains des pouvoirs établis, ne peut qu’empirer. Ne rien faire n’est plus une option : nos enfants et nos petits-enfants pourraient nous le reprocher plus tard. Il faut agir, et maintenant.

Ça suffit ! Kéfaya  !

1 Alors que j’écris ces lignes, je découvre par hasard un livre de Paul Krugman : « Sortez-nous de cette crise...

maintenant ! » (2012 – Champs Actuel). Ce professeur émérite de Princeton, éditorialiste au NY Times et Nobel d’économie (2008) retrace l’histoire de la crise de 2008 et ces conséquences. Il y formule des propositions pour en sortir, le tout avec une compassion et un humanisme qui se font rares dans notre monde obsédé par le profit, l’efficacité à n’importe quel prix et les résultats à court terme. Je ne suis pas en accord avec tout ce qu’il énonce, mais dans l’ensemble je souscris à sa thèse.

2 Remarquez comment Obama fait référence à ces forces occultes et conspiratrices et ne les nomme pas !

3 La Presse — 25 juillet 2013

4 Sources consultées : Wikipedia et quelques grands journaux tels que le Monde Diplomatique et La Presse.

5 La Presse — 6 juillet 2013

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