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DAMAS

Résumé : Le Chroniqueur a visité la Syrie en novembre 2010, lors d’un périple autour de la Méditerranée. Damas, est l’une des plus importantes villes du Moyen-Orient et la plus ancienne capitale du monde avec plus de 2 000 ans d’histoire. Trois mois plus tard, en 2011, le pays entrait dans une guerre civile sanglante qui allait totalement le défigurer.

Stendhal rapporte que lors de son voyage en Italie, alors qu’il visitait un musée à Florence, il avait ressenti un malaise qui l’avait forcé à sortir au grand air et par la suite, à prendre quelques jours de repos. Il expliquait son mal, tant physique que mental, par une surdose de beauté. Encore de nos jours, on soigne à Florence, plusieurs douzaines de personnes par année qui présentent les symptômes de ce malaise connu comme le « syndrome de Stendhal ».

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J’ai ressenti pareil malaise face à la mosquée des Omeyyades, à Damas. Nous avions quitté notre hôtel dans l’ancien quartier de Harat-el-Yahoud (Quartier Juif) et avions pris la Rue Droite, la Via Recta des Romains, pour nous rendre au souk d’El-Hamedeyya. Nous longions une bâtisse de style byzantin et voilà qu’au tournant d’une ruelle, nous nous sommes retrouvés sur une grande place dominée par un portique

romain ; le temple de Zeus. Devant cette colonnade imposante et presque intacte se dresse la grande mosquée des Omeyyades. Les battants d’une lourde porte de bois et de bronze sont grands ouverts et laissent entrevoir une cour immense en marbre blanc immaculé. Nous étions dans l’un des épicentres les plus importants du monde méditerranéen, là où convergent le christianisme et l’islam ainsi que les religions païennes des Romains.

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J’étais subjugué par tant d’Histoire concentrée sur une si petite place. Je me sentais écrasé par cette humanité qui nous a précédés, qui a vécu ici même, taillé ces pierres et édifié ces temples pour les reconvertir au fil des siècles en d’autres lieux de cultes. Sur cette même Via Recta, qui conserve encore son nom deux milles ans après les Romains, des gens de toutes races se sont bousculés pour se rendre au marché, au bain, à l’agora, au café, au caravansérail, en laissant la trace de leurs pas, de leurs cris, de leur sueur.

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Comme Stendhal, le visiteur pourrait être frappé par tant de beauté et d’Histoire. Il sera fasciné par cette profusion de pierre et de marbre taillés, ouvragés et ciselés avec art et finesse. Il ne pourrait s’empêcher d’admirer ces artisans et ces tailleurs de pierres qui ont sué sur tant de labeurs. Ils ont bien sûr disparu, mais les pierres, elles, sont bien présentes, témoignant de leurs efforts et de leur art. Dans ces pierres, les hommes ont inscrit leur quête de la Vérité et leur désir d’exposer leurs croyances.

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Damas est une ville à la fois foisonnante et fascinante et le souk immense et caverneux d’El-Hamedeyya en est le cœur palpitant. Ici, tout est bon marché et de goût douteux. Cela ne semble pas retenir une foule considérable, surtout composée de femmes en hijabs noirs, de se précipiter sur la marchandise et d’en négocier âprement le prix. Une halte chez Bakdash s’impose pour sa fameuse glace à la gomme arabique longtemps martelée pour lui donner sa célèbre élasticité. Mais elle n’est plus ce qu’elle a été, les anciens propriétaires ayant vendu leur commerce pour quelques millions! Par contre, la méhalabéyya, un blanc-manger de style syrien, est absolument remarquable par son goût légèrement sucré, sa consistance onctueuse et sa richesse en amandes et pistaches.

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Dans le souk, se dresse le Khan Assad Pasha, un superbe édifice construit au 18e siècle, qui fut la résidence d’un des notables de Damas. Sur les murs rongés par les ans, une exposition magnifique de calligraphie arabe, l’une des plus importantes formes d’expression artistique dans le monde musulman, réalisée par des artistes contemporains.

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L’art culinaire syrien est l’un des plus réputés du Moyen-Orient. À Damas, on mange aussi bien, et peut-être même mieux qu’à Alep. Mais de grâce, gardez cela pour vous, car les Aleppins sont très susceptibles et fiers de leur gastronomie et la rivalité entre les deux villes est légendaire ! Fréquenté par l’élite économique et politique du pays, Naranj est sans contredit le meilleur restaurant de la ville. Une explosion de saveurs, une finesse dans le dosage des épices, une interprétation originale de certains classiques ; tout cela donne un goût de revenez-y… et le visiteur sérieux y retourne par deux fois, pour sa plus grande joie. Ces repas considérables et délicieux coûtent la mirifique somme de 50 $ US pour deux ! Incroyable !

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À l’extrémité est de la Via Recta, à Bab-el-Sharki (La Porte de l’Est), se dresse une porte romaine 2e siècle. En prenant la ruelle qui la jouxte, vous arrivez à l’Église de St-Ananie. Ce martyre est célèbre pour avoir converti Saint Paul, encore aveugle et contusionné par sa fameuse chute de cheval sur la « route de Damas ». Ananie l’a baptisé et du même coup lui a permis de retrouver la vue. Cette église souterraine est minuscule et ne comporte rien de marquant, sauf pour sa petite histoire.

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Par contre, si on ne dispose que de peu de temps, le Palais Azem est un incontournable. Cette immense résidence d’une famille de Gouverneurs de Damas des 17e et 18e siècles est absolument magnifique. La famille y a résidé jusqu’au début du 20e siècle. Par la suite, elle fut occupée par l’administration française avant d’être transformée en musée ethnographique, avec des salles d’exposition sur la vie à Damas au fil des siècles. Le palais est divisé en deux quartiers, l’un destiné aux femmes et aux domestiques (le haramlik), et l’autre aux hommes (le salamlik). Chacun possède sa cour intérieure avec fontaine et arbres fruitiers. Une ambiance calme et sereine, propice au recueillement, flotte dans l’air, embellie par le chant des oiseaux et le murmure de l’eau.

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À Damas, l’édifice le plus majestueux est la mosquée des Omeyyades. À l’origine, c’était l’église Saint-Jean-Baptiste et on y retrouve d’ailleurs un mausolée où la tête du saint serait conservée. Les Évangiles rapportent l’histoire de cette fameuse tête que Salomé avait exigée de son beau-père, Hérode, en échange d’une danse des sept voiles. Lorsque Damas est tombée aux mains des Arabes musulmans, les notables avaient convaincu les conquérants d’épargner cette église et de ne pas la profaner. Cette grâce fut accordée, car les musulmans vénèrent Saint-Jean-Baptiste comme un prophète important. Cependant, soixante-quinze ans plus tard, en 705, ils se récusèrent. Une mosquée fut construite autour de l’église agrandie, comprenant une cour de marbre gigantesque, cernée d’une superbe colonnade. Sur les murs externes de l’ancienne église, on peut toujours admirer les vestiges de magnifiques mosaïques représentant le Paradis. Un incendie majeur au 19e siècle en aurait détruit de grandes sections. Deux autres mausolées se trouvent dans l’enceinte de la mosquée, l’un contenant la tête de Hussein, un des descendants du Prophète mort assassiné à Karbala et vénéré par les chiites, l’autre étant le tombeau de Saladin, l’une des plus importantes figures guerrières du monde arabe, qui avait mené la lutte contre les Croisés au 12e siècle.

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Cinq jours sont nettement insuffisants pour visiter Damas et en apprécier toute la richesse historique et culturelle. Elle demeure la plus ancienne capitale du monde. Elle a été le berceau de tant de civilisations, le point de rencontre de tant d’empires, la source de tant de cultures qu’on en a le vertige. Contempler Damas, c’est mesurer le chemin parcouru par l’Homme depuis la nuit des temps. Elle conserve sur ses pierres les cicatrices et les rides laissées par les siècles et elle les révèle avec fierté et sobriété, comme pour nous mettre en garde contre les débordements de notre nature.

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