LA PARTICULE PRIMAIRE
Extrait de l’entrevue accordée à Paris Match (édition du 22 mars 2114) par le Professeur Ralph Romega récipiendaire du Prix Roehlberg décerné il y a deux semaines à Francfort (Allemagne). Rappelons que ce prix prestigieux est l’équivalent du Nobel dans le domaine des sciences de la vie. Il réfère au nom du célèbre chercheur Helmut Roehlberg qui a découvert en 2068 le remède universel contre différents types de cancer. Le brevet qu’il détient l’a propulsé à la première place des fortunes mondiales et finance le grand prix de 20 millions d’Euros du Prix homonyme.
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Paris Match (PM) : Professeur Romega, vous venez de remporter le Prix Roehlberg, une reconnaissance indéniable du monde scientifique quant à l’Importance de vos travaux. Certains prétendent même que, grâce à vos découvertes, vous avez repoussé les limites de la mort. Expliquez-nous en quoi elles consistent.
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Ralph Romega (RR) : Voilà des années que je menais des recherches pour comprendre ce qui constitue la vie, ses éléments les plus ténus et les plus fondamentaux et ce qui amène une cellule à devenir vivante et, inversement, ce qui entraîne sa mort. Cette question a d’ailleurs fasciné des chercheurs bien avant moi et ce, dès le début du XXème siècle, en médecine et en biologie, par exemple. Il y a donc une vingtaine d’années, en me basant sur des résultats de recherches de confrères qui m’ont précédés ou qui me sont contemporains, j’ai constaté un phénomène étrange : les cellules de notre corps meurent presque toutes dans un espace de temps limité et cela même si les organes du corps ne sont pas tous en état de dégénérescence. Il suffit qu’un ou deux organes soient atteints de nécrose pour que le corps entier meure. Cela m’a intrigué : c’était comme si un signal était donné par un commandant d’abandonner le navire avant qu’il ne coule et disparaisse. Dans de telles situations, tous les marins et passagers se sauvent en quittant le bateau suivant un certain ordre dicté par le commandant. J’ai fait l’hypothèse que lors d’un décès, la même chose se produisait.
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PM : Et qu’avez-vous constaté? Comment avez-vous pu vérifier votre hypothèse?
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(RR) : Ce fut un travail long et assez laborieux. Il me fallait d’abord trouver un moyen de capter le message, ce SOS en quelque sorte, lancé au moment crucial alors que le corps est encore vivant, à quelques microns de secondes avant que la nécrose ne s’installe. J’ai dû, à la limite, développer des instruments de mesure qui n’existaient pas encore. C’est là que j’ai fait une première découverte : les cellules vivantes vibrent d’une énergie jusque-là inconnue. Certains hommes de sciences du siècle dernier avaient postulé qu’une forme d’électricité agissait sur la biochimie de la cellule pour activer un processus identifié comme la vie au sens large. Or, j’ai pu constater par mes recherches et surtout grâce aux nouveaux instruments de mesure que j’avais créés, que ce n’était pas le cas. Les cellules vivantes sont animées d’une forme d’énergie particulière qui s’apparente au courant électrique et électromagnétique. Cette énergie nouvelle a des caractéristiques qui lui sont distinctes et qui agissent au niveau de la physique quantique. C’est d’ailleurs grâce aux pas de géant accomplis dans cette branche de la science que j’ai pu mener à terme mes propres recherches.
PM : Qu’est-ce qu’elle a de particulier, cette nouvelle forme d’énergie?
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RR : De la même façon que la science du Moyen-Âge et jusqu’au XIXème siècle ne soupçonnait pas l’existence d’ondes électriques, nous ne pouvions pas supposer l’existence d’une particule émettant des ondes d’énergie qui animent les cellules vivantes. J’ai nommé cette particule à la source de cette énergie « Vivon » pour souligner son rôle dans la cellule vivante. Jusqu’à présent, mes recherches indiquent que c’est seulement là que se trouve cette forme d’énergie; dans la cellule vivante. Le Vivon est une particule primaire difficilement observable car à l’échelle de l’atome l’espace-temps est flou : il est impossible d’en déterminer avec précision la localisation, la vitesse et l’amplitude. D’ailleurs, quand on vient pour l’observer, cette particule prend soit la forme de points, soit la forme d’une onde de longue portée, ce qui lui permet d’être à plus d’un endroit à la fois! Au niveau quantique, nous sommes en présence de phénomènes étranges que notre cerveau a de la difficulté à comprendre. C’est cela qui met le Vivon dans une classe à part comme forme d’énergie.
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PM : Une fois que vous avez donc découvert cette particule primaire grâce aux instruments que vous et vos confrères avaient inventés, quelle a été l’étape suivante dans vos travaux?
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RR : Avec mon équipe, nous avons tout d’abord perfectionné des instruments de détection. Les avancées de l’ordinateur quantique ont été d’une grande aide. Nous voulions absolument capter cette nouvelle particule, ou du moins enregistrer son passage. Nous avons ainsi développé une sorte d’ampèremètre ultrasensible capable d’enregistrer des nanoampères. Bref, nous voulions mesurer ce phénomène pour nous assurer que ce n’était pas simplement le fruit d’un hasard ou de notre imagination. Il s’agissait aussi de répéter nos expériences afin d’en assurer la fidélité et la validité. Nous avons donc entrepris une vaste recherche dans plusieurs hôpitaux et dans des institutions de soins palliatifs afin d’intercepter ces particules au moment précis où elles quittent le corps d’un vivant. Établir des protocoles de recherche n’a pas été de tout repos non seulement sur le plan scientifique et technique mais également au plan bioéthique.
PM : Pouvez-vous élaborer sur cet aspect?
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RR : Dès que nos recherches ont été connues dans le milieu scientifique et au-delà, plusieurs confrères et consœurs nous ont questionné sur la finalité de ce que nous cherchions. Que représentait cette nouvelle source d’énergie? Que cherchions-nous, au fond? Et pourquoi? Certains ont carrément soulevé la nature de cette énergie et l’ont assimilé à l’idée que nous nous faisons de l’âme qui nous habite et qui nous distingue des animaux. Ce concept de l’âme est l’un des fondements de notre civilisation humaine et des religions inhérentes. En tant que scientifique, que venions-nous faire sur ce terrain qui empiète sur le religieux? Nous avons été traités d’athées, d’amoraux et d’immoraux et que sais-je encore. Et pourtant, tout ce que nous voulions c’était comprendre comment fonctionne le vivant, quelle est la source de son « animation » afin de mieux définir la limite entre le vivant et le non-vivant. Ce fut une longue bataille mais nous avons réussi à obtenir le consentement de suffisamment de personnes mourantes et d’institutions de santé pour poursuivre nos travaux. Après plusieurs années, huit en fait, nous avons réussi à capter cette particule d’énergie au moment précis où elle quitte le corps d’un être vivant. Depuis, nous avons pu répéter cette expérience plusieurs centaines, voire de milliers de fois, avec succès et de façon tout à fait sécuritaire.
PM : Mais vos travaux ne se sont pas arrêtés là. Vous avez poursuivi vos recherches et vous avez ouvert la voie à un champs d’investigation pratique tout à fait étonnant.
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RR : Effectivement. Une fois captée, nous étions en présence d’une nouvelle particule mais ne savions pas trop quoi en faire. Un membre de notre équipe, Docteur Lucy Fehr, a soulevé la possibilité d’emmagasiner la particule et ainsi de la conserver. L’idée était intéressante mais encore là nous étions dans un champ d’investigation totalement nouveau et nous ne savions pas trop comment nous y prendre. Nous avons consulté différents spécialistes dans des champs extrêmement variés, y compris des métallurgistes et des spécialistes de la nanotechnologie. Après quatre ans de travaux intenses et multidisciplinaires, nous avons mis au point un appareil qui s’apparente à une batterie ou un accumulateur électrique, dans lequel nous pouvions conserver ces Vivons.
PM : Pouvez-vous nous le décrire?
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RR : C’est un appareil de la taille d’un dé, un simple dé comme ceux avec lesquels on joue. Il est en or pur serti de pierres précieuses et semi-précieuses. Malgré sa petite taille, il pèse plusieurs centaines de kilos et a une forte densité, résultats obtenus grâce aux derniers développements en nanotechnologie. Je ne voudrais pas en dire davantage car il comporte quelques secrets de fabrication; disons que nous nous sommes inspirés, après de longues recherches, sur tout ce qui s’est fait dans l’histoire de l’humanité sur l’inhumation et la conservation des restes humains, d’où l’usage de l’or, de lapis et d’autres pierres précieuses. Un seul dé peut contenir plusieurs milliers de Vivons. En fait, nous n’avons pas encore pu atteindre la limite de sa capacité.
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PM : Quel usage faites-vous donc d’un dé contenant une certaine quantité de Vivons?
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RR : Par pur hasard, nous avons constaté qu’un dé contenant quelques centaines de particules produisait une somme considérable d’énergie qui dépassait et de loin la croissance exponentielle prévisible. Encore aujourd’hui, nous faisons face à un mystère que nous n’avons pas résolu. Nous poursuivons nos recherches pour comprendre ce phénomène, sans grand succès. Tout ce que nous pouvons affirmer avec certitude, c’est que l’énergie produite est énorme et nous lui avons trouvé des applications concrètes et utiles pour l’humanité en général.
PM : Parlez-nous donc de ces applications qui vous ont d’ailleurs valu le Prix Roehlberg.
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RR : Il y a neuf ans, nous avons harnaché l’énergie produite par les Vivons captés dans un dé et nous l’avons utilisé. Au départ, nous l’avons utilisé comme source d’énergie pour notre laboratoire. Ensuite, nous avons étendu son usage à toute l’université. À l’époque, je travaillais à l’université de Montréal mais quand la nouvelle s’est répandue, des représentants du gouvernement provincial sont venus nous voir et nous ont proposé d’étendre notre expérience pour desservir un village entier. Nous avons identifié Waterloo, en Estrie, comme base d’essai. Nous étions en mesure non seulement d’éclairer le village mais aussi de répondre à tous les besoins de chauffage, de transport et de logistique de la population, des usines et des cultivateurs de la région qui devenait ainsi autosuffisante en quelques mois. Cela a créé tout un émoi localement et la nouvelle s’est répandue à l’échelle de la planète. Bientôt, nous étions sollicités pour donner des conférences et répandre la bonne nouvelle. Plus besoin de sources d’énergie fossile, éolienne ou solaire. La terre entière se libérait en même temps du joug et des tensions parfois belliqueuses imposés par la dépendance aux énergies traditionnelles. Et le grand avantage, c’est que cette nouvelle source d’énergie ne laisse pas d’empreintes sur l’environnement. L’humanité entière pouvait enfin vivre libre.
PM : Mais les choses ne se sont pas déroulées comme vous l’aviez prévu.
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RR : Malheureusement, après quelques années de succès et de calme, caractérisées par une expansion mondiale rapide due aux transferts massifs des capitaux, aux réalignements des priorités et des stratégies nationales et à l’émergence de nouveaux modes de croissance économique, on a vu apparaitre des tensions entre nations et des dislocations sociales au sein des pays. Mais la crise la plus grave a été causée par le départ de mon assistante, Docteur Lucy Fehr. En fait, son départ a été une trahison tant envers notre équipe de recherche et la mission que nous nous étions donnée, qu’envers notre pays. Elle a quitté en emportant tous nos documents même les plus secrets, pour se rendre en Ibéristan et les mettre aux services de nos ennemis de toujours. Au lieu de travailler à propager la paix et la croissance mondiale grâce à notre nouvelle technologie, elle a préféré mettre ces atouts entre les mains de dirigeants corrompus et belliqueux. Mais une grande surprise l’attendait, elle et ses nouveaux patrons.
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PM : Que voulez-vous dire exactement, Professeur Romega?
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RR : Force est de constater que les résultats que les dirigeants d’Ibéristan visaient n’ont pas été atteints. En fait, notre technologie s’est retournée contre eux. D’après les renseignements que je détiens officiellement ou que j’ai obtenu par mon réseau informel, voici ce qui s’est passé : Dr. Fehr avait constitué un accumulateur de plusieurs milliers de Vivons. Elle l’avait utilisé comme centrale énergétique pour alimenter l’ensemble de ce pays d’une quinzaine de millions d’habitants. En deux ans ce pays à cheval entre l’Europe et l’Asie était autosuffisant et se classait comme l’un des leaders régionaux de la croissance et de la qualité de vie. Mais voilà : ses leaders avaient des visées d’hégémonie et d’expansion et ont commencé à menacer leurs voisins limitrophes. Une partie de l’énergie produite allait être détournée pour mettre en marche un ambitieux programme d’armement. À la surprise générale, l’accumulateur de Vivons a cessé de produire de l’énergie du jour au lendemain. D’après ce que j’ai pu obtenir comme renseignement, cet arrêt brutal semblait venir en réaction directe au programme d’armement. Soudain, le pays entier fut plongé dans une noirceur et un froid total, les usines ne fonctionnaient plus, ce fut la paralysie générale qui a été si bien rapportée par les médias, causant des émeutes et des morts.
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PM : Quelle est votre lecture de cette situation catastrophique, Professeur?
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RR : Il m’est difficile de me prononcer de façon certaine mais il me semble, quand je mets tous les éléments du puzzle bout à bout, que l’accumulateur de Vivons est tombé en panne comme s’il voulait signifier son désaccord au programme d’armement et protester contre le « mauvais » usage de son énergie. Je sais que cela peut paraître farfelu et bien sûr très peu scientifique, mais comment l’expliquer autrement? L’accumulateur refusait tout simplement de participer à des actions néfastes et guerrières que prônaient les dirigeants de ce pays. C’était comme si, en les condensant, les Vivons se dotaient d’une forme de conscience morale…
PM : Vous réalisez, Professeur, que ce que vous avancez peut sembler pour le moins étonnant. Comment une machine comme l’accumulateur que vous avez créé, peut-elle accepter ou refuser l’usage de l’énergie qu’elle produit. Après tout, ce n’est qu’une machine…
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RR : Je sais bien que je suis sur un terrain glissant et que je vais être attaqué tant par mes collègues scientifiques que par le public en général, mais voyons cela objectivement, voulez-vous? Nous voici en présence d’un équipement sophistiqué qui produit une nouvelle sorte d’énergie. Veuillez considérer ceci : Et si ces particules auraient conservé certaines valeurs acquises lors de leur passage dans un corps humain? Si elles savaient distinguer entre le bien et le mal, entre ce qui est bon pour l’humanité et la terre et ce qui ne l’est pas? Si à partir de ces valeurs, cet accumulateur pouvait décider d’une certaine marche à suivre?
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PM : Voilà qui est fascinant…Mais avez-vous des réponses aux questions que vous soulevez?
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RR : Non, malheureusement je n’en ai pas. J’en suis moi-même bien embêté! Je crois que nous avons percé le mystère de la vie. Cependant, il nous reste un petit bout de chemin à faire pour comprendre à quoi rime tout cela. Qu’est-ce que la vie, la mort, l’univers et l’au-delà? Voilà la vraie question!
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