
LA PLUME ROUGE
Résumé : Lors d’un songe, un étrange oiseau dépose une plume rouge dans la main de Barbara, gage de reconnaissance de son amour pour Éric. Mais Barbara constatera que cette plume est dotée de forces extraordinaires, aussi fortes que celles de l’amour qu’elle porte à Éric.

Barbara nageait à grandes brassées amples et agiles. Ses gestes lents ondoyaient à peine l’eau de la piscine, qui reflétait le ciel rose de l’aube. Sa tête hors de l’eau, les yeux mi-clos, elle semblait jouir de tout son être.
Elle aimait cette nage matinale dans le silence du jardin, entouré de grands pins qui formaient une cathédrale au-dessus de l’eau. Cet exercice tonifiait ses muscles et maintenait une souplesse dans ses gestes. Elle était bien consciente de ce bien-être qui la pénétrait à chaque mouvement et elle en appréciait le goût frais.
« C’est le bonheur ! » pensa-t-elle. Chaque année lui apportait ces deux semaines au bord de la mer avec Éric, au Cap-à-la-morue. Deux semaines de répit au milieu de cette vie trépidante, infernale presque, « deux semaines où nous pouvons enfin nous retrouver » avait-il l’habitude de dire. Et elle renchérissait : « On dirait que nous sommes deux rescapés d’un naufrage du temps », en lui caressant le visage. Éric était la trame ténue de son bonheur sur laquelle elle dessinait sa vie.
Elle sortit de la piscine au bout d’une demi-heure avec un léger vertige, le souffle court. Elle s’enveloppa d’une grande serviette et s’étendit sur l’une des chaises longues, prise d’une torpeur reposante. Elle ferma les yeux. L’air de la mer apportait des effluves d’algues recouvrant la plage à marée basse, non loin de là. Déjà les grillons lançaient leurs trilles dans l’aube. La journée s’annonçait chaude.
Tout à coup, un oiseau aux reflets pourpres et au bec d’or vint se poser sur le bras de son siège.
« Je vous vois, Barbara, tous les matins, nager avec grâce et volupté », lui dit-il en la regardant fixement.
Barbara ne bougea pas, surprise et amusée par cette apparition étrange.
« Vous êtes l’image même que nous, gent à plumes, nous nous faisons du bonheur des humains. Vous aimez et vous êtes aimée. Vous appréciez chaque moment qui passe, vous êtes dans l’instant. Cet état de plénitude vous ouvre aux possibilités infinies que le monde vous offre et vous avez une conviction profonde en sa bonté. Barbara, votre cœur est bon et il déborde d’amour pour tout ce qui vous entoure. Par-dessus tout, vous aimez Éric et il vous le rend bien. Vous avez ainsi été choyée des dieux et ils m’envoient pour vous dire qu’ils sont heureux de constater que vous utilisez bien les dons qu’ils vous ont accordés. Ils m’ont demandé de vous laisser cette plume, que je retire de mon ramage, en guise de reconnaissance. Cette plume magique vous permettra de voler, comme moi. Mais à une condition : il vous faudra croire encore plus fort à la force de l’amour si vous voulez vraiment vous élever dans les airs. »
D’un geste sec, l’oiseau s’arracha une magnifique plume rouge aux reflets pourpres, la déposa dans la main de Barbara, et s’envola à tire-d’aile au-dessus des pins.
Barbara s’étira lentement en bâillant : « Quel rêve bizarre ! Éric voudra sûrement l’entendre et me l’expliquer. Il est si doué pour ce genre de jeu… »
Elle se redressa, chercha ses pantoufles et se recouvrit les épaules de la serviette. C’est à ce moment-là qu’elle remarqua une magnifique plume à ses pieds. Elle pâlit. D’un geste furtif, elle la ramassa et la glissa dans sa trousse à maquillage. Perplexe, elle rentra rapidement dans la maison.
Tout en se douchant, elle poursuivait sa réflexion intérieure : « Quel songe étrange ! Je rêve d’une plume et voilà que j’en trouve une pareille en me réveillant. Le subconscient est une machine formidable, au fond. Comment a-t-il pu construire tout un songe autour d’une plume, sans doute tombée d’un oiseau qui passait par là ? Quelle histoire merveilleuse ! »
Elle se dirigea vers la cuisine pour préparer leur petit-déjeuner. Éric se lèverait bientôt. D’une chose à l’autre, les menues activités d’une autre journée de vacances prirent le dessus et Barbara oublia l’incident de la plume.
Le temps était au beau depuis une dizaine de jours. Rarement le Cap avait été ainsi baigné de soleil et le ciel aussi bleu. « Un ciel d’Italie », disait Éric. Ils passaient la journée en de longues marches sur la plage, et le soir, ils sortaient dîner dans différents villages, allant même jusqu’à la pointe du Cap, à Provincetown.
« Demain », annonça Éric, « nous devrions prendre un bateau et faire cette fameuse croisière jusqu’à Martha’s Vineyard. Nous pourrions dîner sur le pont et observer le coucher de soleil sur mer. On dit que c’est l’un des plus beaux paysages du monde. Il fait bon et nous devrions en profiter. » Barbara accepta sans hésitation ; elle aimait ces escapades romantiques qu’Éric proposait souvent.
Le lendemain, en fin d’après-midi, ils montaient à bord du True Love, affrété pour la circonstance par Éric qui préférait un tête-à-tête au tapage et à la curiosité des touristes. En les invitant à s’installer dans une grande cabine confortable, la Capitaine Tim Bass leur annonça : « La météo prévoit une mer un peu agitée, mais rien de grave. Le ciel devrait être dégagé au coucher du soleil. Nous vous avons préparé des homards que j’ai choisis moi-même tout à l’heure. Est-ce que je peux vous offrir un verre de champagne? »
Le bateau sortit du port de Hyannis, toutes voiles dehors et après avoir dépassé le phare, il cingla vers le large, poussé par une brise chaude. Quelques rares nuages couraient vers l’horizon et Barbara se blottit dans les bras d’Éric, heureuse.
La traversée jusqu’à Martha’s Vineyard fut des plus agréables. Ils doublèrent plusieurs voiliers qui ponctuaient de leurs ailes blanches une mer relativement calme. « Nous allons faire le tour de l’île avant de vous servir à dîner », leur annonça Capitaine Bass.
Du côté atlantique, la mer était plus agitée et les voiles se gonflaient comme des panses bien remplies. Un vent frais du Nord se leva tout à coup et une masse sombre apparut à l’horizon. Ils se mirent à table.
« Excellents ces homards ! J’en ai rarement mangé d’aussi charnus », lança Éric la bouche pleine, l’appétit aiguisé par l’air marin. Il leva son verre et porta un toast : « À votre santé, Capitaine Tim, et merci pour ce repas ! »
« À la vôtre, à la vôtre ! », s’empressa de répondre le Capitaine, un sourire glacial sur les lèvres. Son regard avait pris une lueur étrange et sa courtoisie du départ avait disparu. Il avait les gestes brusques et s’était retranché dans un mutisme qui étonna Barbara.
Lorsque le Capitaine sortit de la cabine, elle se pencha vers Éric et lui chuchota : « Je n’aime pas son air, tout à coup. Il me semble qu’il a changé et il y a quelque chose qui me déplaît dans sa façon de faire. »
« Tu ne trouves pas que tu exagères un peu, ma chérie ? » s’empressa de lui faire remarquer Éric, à voix basse. Tim est tout simplement pris par son travail. Il n’est pas ici pour faire la conversation, il doit diriger le voilier et s’assurer que tout se déroule bien. D’ailleurs, j’aime mieux qu’il nous laisse seuls. Je veux t’avoir toute à moi ! »
Soudain, la cabine fut plongée dans l’obscurité. Jetant un coup d’œil par un hublot, Éric constata que la masse sombre qui était encore à l’horizon quelques minutes plus tôt recouvrait le ciel entièrement. Le soleil avait disparu.
« Oh ! Pas un de ces orages », s’exclama Éric, faisant allusion à ces pluies soudaines et typiques du Cap qui les avaient souvent surpris dans le passé, alors qu’ils se promenaient à la plage en maillot. Le ciel se couvrait de nuées noires et il se déversait des trombes d’eau en quelques minutes.
Et voilà qu’une forte pluie serrée et froide martelait le pont. Une houle menaçante ondoyait la mer et le voilier fut pris dans un roulis si violent que les verres faillirent se renverser. Éric s’était levé péniblement, mais perdit l’équilibre et s’affala sur Barbara. « Tu n’as pas le pied marin, chéri ! », lui lança-t-elle en prenant dans ses bras. Ils s’embrassèrent longuement, bercés par les vagues.
Dehors, le temps s’était rapidement déchaîné et l’écume des vagues déferlait sur le bastingage. Les voiles avaient été ramenées et le bateau tanguait au gré du mouvement impétueux de la mer. La Capitaine et les hommes d’équipage s’affairaient à toutes les manœuvres, le geste rapide et l’œil inquiet.
Au bout de quelques minutes, le Capitaine vint les rejoindre dans la cabine. Il était trempé et sa voix était graveleuse comme s’il avait crié contre le vent.
« La météo vient tout juste de lancer un avis de tempête. Ces foutus météorologues… incapables de prévoir quelques heures d’avance. Il faut être dans l’œil de l’ouragan pour qu’ils se réveillent et sonnent l’alerte. Mais celle-là risque de durer quelques heures, fiez-vous à mon expérience… nous sommes trop loin de Hyannis et impossible de manœuvrer pour entrer dans le port d’Edgartown à cause de la direction des vents. Je propose donc d’accoster à Plimoth Island, non loin d’ici. Il y a une petite anse où nous serons à l’abri pour la nuit. Demain, il fera beau. »
Sans leur donner le temps de réagir, le Capitaine sortit, sans un sourire. Éric fut surpris de cette attitude, mais il l’excusa en se disant que le stress du moment devait sans doute en être la cause.
Le voilier tanguait dangereusement. Les vagues s’étaient transformées en lames menaçantes de plusieurs mètres de haut. Barbara eut une nausée soudaine et renversa son verre de vin en voulant se lever. Soudain, les mouvements du voilier se stabilisèrent, le sifflement du vent se fit moins féroce et un des hommes d’équipage passa la tête par la porte entrouverte pour crier :
« Nous entrons dans l’anse de Plimoth Island. Le Capitaine fait dire qu’il pourrait vous débarquer et que vous pourriez passer la nuit à l’auberge du village. » Avant qu’ils n’aient pu réagir, le Capitaine entra. Il paraissait plus calme, mais avait toujours cet étrange sourire qui lui déformait le visage.
« Écoutez, leur dit-il, la nuit sera longue sur le voilier, avec cette pluie et ce vent qui ne finissent pas. Au village, il y a une auberge tenue par Rebecca Bearse, une vieille connaissance. Elle y accueille les rares vacanciers et amateurs de voile qui viennent de Boston. Je vous conseille d’aller y passer la nuit. »
Éric jeta un coup d’œil à la dérobée vers Barbara. Lorsqu’il vit son teint jaunâtre et son regard perdu, il accepta la proposition du Capitaine. Après une traversée en Zodiac assez pénible et mouvementée, ils arrivèrent enfin à l’auberge. C’était une petite maison d’allure sordide, au toit rabougri, bâtie dans le style de la Nouvelle-Angleterre avec deux grandes fenêtres de part et d’autre de la porte. Éric portait en bandoulière un fourre-tout de toile contenant leurs objets de première nécessité, ainsi que le sac à main de Barbara. Après les présentations, le Capitaine s’esquiva en lançant un « Salut ! » bien sonore dans la nuit. Dehors, le vent était tombé, mais la pluie tombait en grande nappe de perles.
Rebecca Bearse était une vieille femme courbée, au visage creusé de rides et à la peau d’une blancheur translucide. D’affreuses dents noires accentuaient son sourire sinistre. Ce qui retenait surtout l’attention, c’était ses yeux d’un bleu profond aux reflets étranges, tantôt limpides comme un ciel d’été et tantôt d’un mauve profond rappelant la mer un jour d’orage. Elle fixait Barbara et Éric intensément d’un regard vif et pénétrant, au point de les mettre mal à l’aise.
« La chambre que je vous ai préparée est au premier étage. Si vous voulez bien me suivre », leur dit-elle d’une voix éraillée.
Ils étaient épuisés de leur journée et suivirent la vieille femme dans l’escalier étroit. Les marches craquaient sous leurs pas. Tout à coup, la lumière s’éteignit et Rebecca se retourna : « Oh ! Ne vous inquiétez pas, la génératrice prend de l’âge et me lâche deux ou trois fois par jour ». Sans sourciller, elle sortit une chandelle de la poche de son tablier et l’alluma avec un vieux briquet militaire. « Suivez-moi! ».
Arrivée dans la chambre, Barbara s’affala sur le lit de laiton. Découragée, les bras ballants entre les genoux.
« Avant de vous laisser, j’ai un petit service à vous demander, ajouta la vieille sur le pas de la porte. Pourriez-vous, monsieur, venir m’aider à redémarrer cette maudite génératrice ? » Éric ne pouvait pas refuser. En sortant, il se retourna vers sa femme et lui recommanda de se coucher. Dès son départ, Barbara s’étendit tout habillée et s’endormit d’un coup au son du clapotis rageur de la pluie sur la fenêtre.
En bas, la vieille se mit une cape sur les épaules, prit une lampe-tempête, enjoignit Éric à prendre un coffre à outils et lui demanda de la suivre. Dehors, Éric fut assailli par une lourde pluie et un vent glacial qui soufflait par bourrasque. Ils traversèrent une petite cour éclairée par la lumière dansante de la lampe portée à bout de bras par la vieille. Dans un cabanon, Éric découvrit une génératrice datant de la guerre. Il s’y entendait un peu en mécanique et après un examen sommaire, il se retourna vers la Rebecca Bearse pour lui dire : « Mais elle n’a rien, votre géné… » et avant de terminer sa phrase, il était déjà à terre, pris d’une frayeur intense.
La vieille femme était sur lui, le visage tordu par un rictus qui la défigurait. « À moi, vous êtes enfin à moi ! » hurlait-elle. Éric tentait de la repousser de toutes ses forces, protégeant son visage des griffes de la femme déchaînée. Tout en se défendant de son mieux, il ne cessait de crier : « Mais qui êtes-vous ? Pourquoi ? Pourquoi ? À moi ! Au secours ! »
« Pourquoi ? », répéta la vieille femme, « Vous êtes stupides, vous, les hommes ! Pourquoi ? Mais parce que j’ai besoin de votre sang ! »
Glacé de terreur, Éric jetait un regard désespéré autour de lui à la recherche d’un objet pour se défendre. Dans un ultime effort, il réussit à se dégager et à ramper vers un coin du cabanon, alors que la vieille, accroupie, le fixait intensément, tel un cobra hypnotisant sa victime. Il était à sa merci. Éric ne cessait de répéter, comme en transe : « Mais pourquoi ? Pourquoi ? »
Rebecca Bearse sauta sur ses pieds avec une agilité étonnante pour son âge et lui lança : « Pourquoi ? Parce que j’ai besoin de votre sang, une fois pour toute ! Il me faut du sang de jeunes mâles, comme vous, voilà pourquoi ! Mon ami Tim m’approvisionne de temps à autres et je me délecte pendant quelques mois. Vous voulez d’autres explications ? Je n’y peux rien, j’ai besoin de ce sang pour vivre…Voilà bientôt 365 ans que ça dure. Depuis que j’ai été chassée de Salem avec mes compagnes. Nous avons eu de la chance de ne pas finir sur le bûcher… »
Éric, terrorisé, n’en croyait pas ses oreilles. Les sorcières de Salem… Il en avait entendu parler, comme tout le monde. Mais ce soir, en pleine tempête, sur cette île déserte, il avait du mal à comprendre ce qui lui arrivait et à faire le lien avec cette légende. Mais était-ce une légende ?
La vieille poursuivait, et sa voix grinçante brûlait ses oreilles. « Ces pervers nous ont mis dans une barque, Esther et moi, en pleine nuit de tempête, avec une gourde d’eau et une boîte de biscuits. Ils espéraient nous envoyer au diable, mais nous avons survécu. Ma compagne est morte il y a une éternité, je crois…enfin, je ne sais plus. Elle était atteinte d’une maladie infectieuse sans doute causée par un de ces jeunes marins… Et nous avons échoué sur ce rocher, tellement petit qu’il n’apparaît sur aucune carte. Mais il est assez grand pour moi et quand je me sens seule, j’invoque Belzébuth et il accourt me tenir compagnie. Que peut-on demander de plus ? » La vieille lança un rire si aigu qu’il transperça Éric jusqu’au plus profond de ses entrailles. D’instinct, il se couvrit les oreilles pour arrêter ce son abominable.
Tout à coup, le vacarme de la tempête disparut et un rugissement tonitruant fit vibrer l’air, tel un roulement de tonnerre. Éric était pétrifié.
« Le voici ! Il arrive, enfin ! Il s’en vient bénir mes libations ! » Le rire strident de Rebecca reprit de plus belle dans la nuit opaque et humide. Elle se pencha sur Éric et le menotta à la génératrice. Le rugissement se rapprochait et le cabanon tremblait comme un château de cartes.
C’est ce grondement sourd qui secoua Barbara et la sortit de son sommeil. Surprise, elle jeta un coup d’œil par la fenêtre, mais ne put rien distinguer dans la nuit noire. Constatant qu’Éric n’était pas rentré, elle fut prise de frayeur. D’un geste machinal, elle saisit son sac et se précipita dans l’escalier. Elle fut prise de panique dans la maison vide et courut pour sortir. Un coup de vent violent fit claquer la porte comme un fouet derrière elle.
Sous la pluie, elle perçut une faible lueur au fond de la cour. Ruisselante, elle se faufila jusqu’au cabanon, résolue de trouver Éric. Par une fenêtre, elle distingua une forme recroquevillée sur le sol. Elle donna un coup d’épaule à la porte et se jeta à genoux près d’Éric.
« Éric ! Chéri ! Réveille-toi ! Qui t’a ligoté ? Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que c’est que tout ce bruit ? Chéri ! Réponds-moi ! »
Péniblement, Éric sortit de sa torpeur et lui chuchota : « Je t’expliquerai plus tard. Nous sommes en danger. Libère-moi! Vite ! Cette vieille femme est une sorcière qui s’est enfui de Salem, il y a très longtemps. Elle est partie chercher Belzébuth et va revenir d’une minute à l’autre. Vite, défais mes liens. Dans le coffre, là, tu trouveras un couteau. Presse-toi ! Nous n’avons pas une minute à perdre ! »
Tremblante, Barbara fouilla dans le coffre et libéra Éric en quelques secondes. « Mais comment allons-nous fuir ? » demanda-t-elle à Éric, les larmes aux yeux. Elle était prise de soubresauts et semblait désespérée. Elle revoyait en un instant fugace, les heures exquises passées dans les bras de son mari. Elle sentait une grande tristesse l’envahir face au sort funeste. Ils allaient maintenant mourir sur une île inconnue, alors qu’ils avaient partagé ce grand amour, comme on partage une brioche. Qui remarquerait leur disparition ? Ils étaient loin de tout.
Soudain, une idée s’imposa dans l’esprit de Barbara et un sourire lumineux se dessina sur son visage. « Viens, chéri, suis-moi, lui lança-t-elle. Je sais ce que nous allons faire. » Éric se redressa, frottant ses poignets endoloris et la suivit en tâtonnant.
Ils se précipitèrent dehors sous la pluie. Le grondement devenait de plus en plus assourdissant et la terre tremblait, comme secouée par les pas de géant. Barbara étreignit Éric de toutes ses forces et déposa sur ses lèvres un long baiser tendre et langoureux. Surpris, Éric ne put s’empêcher de reculer et de s’écrier : « Mais, chérie, Barbara, vraiment ce n’est pas le moment… fuyons ! »
Mais Barbara lui chuchota à l’oreille : « Tu es mon bonheur, tu m’entends ? Je t’adore… tu es une partie essentielle de moi… chacune de mes cellules vibre pour toi. Tu es mon âme, tu es ma vie. Tu es ce que j’ai de plus précieux. »
Tout en poursuivant cette longue déclaration de son amour, avec toute la sensibilité dont elle était capable, Barbara s’accrochait à Éric. Lentement, ils s’élevèrent dans les airs, ballottés par la pluie, les yeux fermés, jusqu’à atteindre le ciel calme au-dessus des nuées. Ils planèrent ainsi jusqu’au continent, dépassant les tourments de l’orage. Quand, finalement, ils se posèrent non loin de Hyannis, Barbara tenait encore dans sa main une superbe plume rouge aux reflets pourpres.
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