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PETIT TRAITÉ DE LA BÊTISE ORDINAIRE

Résumé : Une analyse approfondie de la stupidité humaine présentée avec humour et préjugés…comme il se doit !

 

                                                                                         « Quand on est con, on est con »    - Georges Brassens

 

                                                       " J'aime mieux les méchants que les imbéciles, car parfois ils se reposent "

                                                                                                                                                          Alexandre Dumas

 

Préface

 

Alors que l’intelligence accapare l’attention des chercheurs de divers domaines scientifiques, la bêtise, elle, souffre d’un manque d’attention et d’investigation. Or, à mon avis, elle mérite une étude approfondie, car il faut bien le constater, elle est largement répandue et son expansion rapide gagne toutes les sphères de l’activité humaine. Un recensement actuel de la littérature ne révèle aucune étude de cet important sujet, à part une monographie d’un certain Carlo M. Cipolla portant le titre « Les lois fondamentales de la stupidité humaine » (PUF – 2012) Il serait intéressant de se demander pourquoi la bêtise n’a pas été étudiée en profondeur dans les années et les siècles précédents. Il me semble que la réponse pourrait se résumer comme suit : soit qu’elle n’était pas suffisamment évidente aux générations qui nous ont précédés, soit que celles-ci ne disposaient pas d’outils d’analyses sophistiqués pour aborder le phénomène de la stupidité humaine. Ce qui me fait dire avec une certaine dose de modestie que Cipolla et moi faisons œuvre de pionniers en la matière.

 

Dans le présent traité, j’expose divers éléments sur les manifestations de la bêtise, je développe un modèle d’analyse et une typologie qui permettent de mieux comprendre le phénomène et, surtout, je soumets au lecteur les six lois de la bêtise qui serviront à bien saisir toute la complexité du sujet. Enfin, je présente en conclusion ce qui me semble être les causes universelles de la bêtise humaine, ainsi que les moyens concrets pour y remédier. Ce traité s’adresse au lecteur désireux de saisir ce qu’est la bêtise afin de l’aider à composer avec son environnement qui pourrait comprendre des gens stupides.

 

Introduction

 

« Passer pour un idiot aux yeux d’un imbécile est une volupté

de fin gourmet » -   Courteline

 

Depuis la nuit des temps, l’Homme fait preuve de bêtise dans ses comportements. Quel que soit son âge, son origine, la période où il a vécu, il a toujours démontré une certaine forme de bêtise qui se manifeste à divers degrés. Parfois, cette bêtise est risible, alors que dans d’autres cas, elle est source de catastrophes. On peut dire que la bêtise humaine est universelle dans la mesure où elle n’est pas l’exclusivité d’une ethnie ou d’une époque. Bien souvent, une action n’est qualifiée de « bête » que bien des années plus tard et ce jugement est rarement posé par les contemporains. Est-ce le recul du temps ou l’évolution de la pensée critique des générations ultérieures qui amène ce jugement ?

 

Tout d’abord, il est primordial de définir le sujet traité. Qu’est-ce que la bêtise ? Qu’est-ce qui la distingue d’un comportement dit « normal » ? Est-elle le propre d’une région du globe, d’une époque ?

 

La manifestation de la bêtise d’un individu, par son comportement verbal ou non verbal, a un effet direct sur les personnes qui l’entourent. L’homme étant un animal grégaire, il est clair que la bêtise d’une personne affecte son milieu. Trop souvent, les conventions sociales empêchent les gens d’envoyer promener cette personne qui démontre sa bêtise et lui signifier carrément qu’elle est stupide. Peut-être que cette politesse est une forme de bêtise en soi. Ne serait-il pas plus constructif et plus aisé dans nos rapports avec une telle personne de lui dire simplement : « Tais-toi ! Tu dis des bêtises ! » ?

 

La bêtise humaine est immense, complexe et variée, comme d’ailleurs plusieurs traits qui caractérisent sa véritable nature. Nietzsche a dit : « La bêtise des bons est insondable ». Sans doute sommes-nous trop fiers pour avouer que nous pouvons être « bêtes ». La bêtise congénitale de l’Homme l’empêche de reconnaître ce trait de caractère dans sa propre nature. Rabelais affirmait que « le rire est le propre de l’homme ». La bêtise aussi. Nous allons le prouver tout à l’heure…

 

Qu’est-ce que la bêtise ?

 

« Il nous est difficile de parler de bêtise, sachant bien qu’on est, ou deviendra, toujours l’imbécile

de quelqu’un » -  J.J. Pauvert

 

Le titre d’origine du présent traité était : Petit traité de la bêtise humaine. Mais après réflexion, j’ai trouvé que de qualifier la bêtise d’humaine pourrait laisser sous-entendre qu’il y a aussi une bêtise animale ou végétale. Ce qui, bien sûr, n’est pas le cas. Même si le mot bêtise provient de bête, il faut reconnaître que les bêtes, en général, ne font pas preuve de bêtise. C’est notre appréciation bornée qui nous a amenés à cette fausse conclusion, une sorte d’anthropomorphisme à l’envers.

 

Si on se fie à la définition du dictionnaire, la bêtise serait « un manque d’intelligence, de jugement ». Elle se manifeste par des « propos ou actions ineptes ». Parmi ses synonymes, notons : ânerie[1], absurdité, bévue, connerie, étourderie, impair, naïveté, stupidité…Il me semble que cette définition et ces synonymes, en mettant en opposition bêtise et intelligence ne nous révèlent pas l’étendue du sujet. Au contraire. Car, enfin, il existe bien des personnes intelligentes et qui peuvent se révéler bêtes et stupides !

 

L’intelligence et la bêtise ne sont pas nécessairement exclusives. Elles ne sont pas non plus antinomiques. Voilà sans doute la première évidence qu’il faut reconnaître quand nous abordons ce délicat sujet. Il est possible et même certain que l’on peut être à la fois intelligent et bête. Nous connaissons tous des individus brillants qui peuvent aussi commettre des étourderies et des bêtises. Ils sont généralement vite excusés, soit pour leur intelligence jugée supérieure, soit parce qu’ils font preuve d’autres traits de caractère comme l’humour, la modestie ou la sociabilité qui nous les rendent sympathiques.

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1 Un âne est une bête. Mais fait-il nécessairement preuve de bêtise ?

 

Le contraire de l’intelligence est le manque d’intelligence, ou pour fin de notre propos, l’inintelligence. De même, l’opposé de la bêtise est le simple bon sens dont une personne peut faire preuve.


Ainsi, il me semble que l’intelligence et la bêtise sont sur deux continuums gradués et distincts qui peuvent se recouper, se chevaucher et se compléter sans être nécessairement en opposition. Sur le continuum de l’intelligence, par exemple, on peut glisser d’un niveau d’« inintelligence » à une extrémité, jusqu’à l’« intelligence » à l’autre bout. Comme ceci :

Inintelligence

Intelligence

Fig. 1 Étendue de l’intelligence

 

De la même façon, la bêtise se retrouve sur un continuum allant de « bêtise Â» à « bon sens », comme ceci

Bêtise

Bon sense

Fig. 2   Étendue de la bêtise

 

Il est nécessaire de bien définir les termes qui seront utilisés dans le présent traité afin d’éviter toute confusion et d’entamer une polémique avec des individus bien-pensants, mais qui refusent de revoir leurs paradigmes.

 

Ainsi, les personnes que nous classons dans la catégorie des « inintelligents » ne sont pas automatiquement stupides comme le veut la définition classique de ce terme. Ces personnes font preuve d’un manque d’intelligence, sans pour autant être idiotes. C’est une nuance importante.

 

De la même façon, les personnes que nous classons dans « bon sens » font preuve d’une propension naturelle « à juger sainement », pour reprendre la définition du Larousse. Elles sont prudentes, subtiles, peut-être même rusées. Chose certaine, elles peuvent démontrer ingéniosité et esprit, sans pour cela être dans la catégorie des personnes intelligentes. Encore là, c’est une nuance importante que nous allons clarifier plus bas !

 

Quand on qualifie quelqu’un de « Pas intelligent », on comprend vite à quoi on fait référence. C’est généralement un individu démontre de faibles capacités d’analyse, de réflexion, de communication ou de raisonnement sensé. La notion de « bêtise » est, cependant, un peu plus complexe. Lorsque l’on dit de quelqu’un qu’ Â« Il n’est pas bête », on constate simplement qu’il ne commet pas de bêtises à répétition, qu’il se surveille dans ses actes et que ses sottises sont rares. Il semble agir avec « bon sens », sans pour autant faire preuve d’intelligence. En général, il fera des commentaires qui seront des lieux communs, répétés et admis par la majorité.

 

Ces définitions clarifiées, examinons maintenant l’intelligence et la bêtise humaine comme étant deux composantes distinctes de l’homme. Nous pourrions, pour fins de compréhension, les représenter sous la forme d’une typologie en quatre classes, comme suit :

Bon sens

Catégorie 3 : Bon sens  + Inintelligence

Catégorie 4 : Bon sens + Intelligence

Inintelligence

Intelligence

Catégorie 1 : Bêtise + Intelligence

Catégorie 2 : Bêtise + Inintelligence

Bêtise

 

Fig. 3   Typologie de la bêtise humaine

 

Examinons maintenant les quatre catégories de la typologie ci-dessus.

 

Catégorie 1 : Bêtise + Intelligence

 

Nous retrouvons dans cette catégorie des individus dotés d’une bonne dose d’intelligence, mais qui font preuve de bêtise flagrante sur une base régulière. Ils le font parfois volontairement afin de cultiver l’image d’une personne ordinaire. On trouve là, par exemple, des politiciens du genre populiste. Ils peuvent être brillants, mais commettent des gaffes et des bévues qui risquent, à la limite, de les rendre sympathiques aux yeux d’électeurs, généralement eux aussi plus ou moins imbéciles.

 

Le prototype de cette catégorie serait justement un politicien : Nixon. Président des États-Unis, il fut un homme brillant, doté d’un bel esprit d’analyse et d’une grande finesse politique. Il s’entoura d’hommes remarquables, tel Kissinger, et il ouvrit le chemin vers la Chine, jusque-là fermée au monde occidental. Et pourtant, quel imbécile ! Il avait autorisé la mise en place d’un système d’enregistrement qui devait capter toutes les conversations ayant lieu dans son bureau, à la Maison-Blanche. Ce sont ces mêmes enregistrements qui l’ont incriminé par la suite dans l’affaire Watergate et qui ont mené à sa chute spectaculaire !

 

Catégorie 2 : Bêtise + Inintelligence

 

Les individus de cette catégorie obtiennent d’emblée notre compassion, parfois avec nos excuses, mêlées d’une certaine condescendance. Quand on les rencontre, on ne peut s’empêcher de penser : « Quel con ! Et, de plus, pas très futé ! Â». Ces gens n’apprennent pas de leurs expériences et retombent avec une telle assiduité dans les mêmes pièges posés par le sort que c’en est étonnant. Leurs inepties nous poussent à les éviter à tout prix. De façon générale, le prototype de cette catégorie serait la blonde éthérée et simplette qui nous désespère, mais qui nous fait tant sourire.

 

Cette catégorie comprend deux sous-groupes. Le premier rassemble ces personnes qui, malgré leurs lacunes, sont dotées d’une certaine gentillesse, d’une bonté ou d’une autre qualité humaine qui nous les rend attachantes. Graham Greene disait : « Les imbéciles sont souvent des gens de bonne compagnie »[1]. Elles font preuve d’autres formes d’intelligence sans doute. On passe outre leur bêtise et leur faible QI parce qu’elles sont agréables de compagnie, malgré tout. Cela est peut-être dû au fait qu’en leur présence, nous nous sentons, du coup, plus intelligents. Ce qui les distingue c’est qu’elles peuvent même faire preuve d’une sagesse ou d’une bonne aptitude dans les relations humaines ou sociales qui les met à l’abri de la bêtise grossière. Elles possèdent cette sensibilité qui constitue sans doute un des meilleurs antidotes à la bêtise. Le prototype de ce sous-groupe est la bonne tante que l’on retrouve souvent dans nos familles, généreuse, bonasse même, mais qui n’est pas très éveillée et qui fait des gaffes à répétitions.

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1 Graham Greene : Un jour de gagné (1934)

 

Le second sous-groupe, lui, comprend des individus qui, en plus d’être bêtes et pas intelligents, ne possèdent aucun don pour se racheter à nos yeux. Ils sont cons et ils resteront cons. Ils ne réalisent même pas le degré de stupidité qu’ils ont atteint : au contraire ! Ils se croient malins et c’est ce qui les rend menaçants pour leur entourage. Le prototype de ce sous-groupe est le raseur qui parle haut et fort pour dire des insanités, sans se rendre compte de l’effet produit sur son auditoire.

 

Catégorie 3 : Bon sens  + Inintelligence

 

Ce groupe comprend des individus qui, à premier abord, cachent leur vraie nature. Ils sont futés et cela est bien évident, mais… ils ne sont pas intelligents. Malheureusement, ils ne le savent pas. Leur bon sens semble les pousser à croire qu’ils possèdent une certaine intelligence. Rien ne peut être plus loin de la vérité, car comme nous l’avons vu, l’intelligence et la bêtise sont deux ensembles distincts qui, dans certaines rares circonstances seulement, peuvent se recouper. En fait, ces individus forment un groupe très important de la population. Ils parlent peu et agissent encore moins. Ils sont généralement animés par le désir de se conformer à leur environnement, de s’y confondre. La dernière chose qu’ils souhaitent est de se distinguer, de sortir du rang ou de faire preuve d’une originalité quelconque. Ils possèdent juste ce qu’il faut de débrouillardise, de sensibilité et d’ingéniosité pour paraître normaux. Ils ont appris des phrases-clés de circonstances qu’ils répètent quand il le faut. Cela donne une impression de profondeur ou de sagesse, alors qu’à l’examen sommaire, les raisonnements qu’ils tiennent sont souvent erronés. Une innocence innée et une prudence acquise les empêchent de faire des bêtises. Généralement introvertis, calmes et peu enclins à l’action, ils ne sont pas dangereux ; leur entourage l’est bien davantage, car il les tolère. Prototype : le personnage de Mr. Chance, tenu par Peter Sellers dans le film Being There.

 

Catégorie 4 : Bon sens + Intelligence

 

En général, nous faisons tous partie de ce groupe à un moment donné de notre existence. Nos amis aussi. Nous nous percevons intelligents et futés. Que demander de plus ? Nous sommes à l’aise en compagnie de gens comme nous ; on se comprend à demi-mot. Nous sommes pareils. Nous apprenons de nos bêtises et nous ajustons rapidement notre comportement pour ne pas paraître idiots. Si, par hasard, l’un d’entre nous commet une bêtise, il est vite pardonné, car après tout, nous sommes entre gens intelligents, donc compréhensifs. Pas comme ces gens stupides, bornés et intolérants.

 

 

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Il apparaît donc de façon claire que la bêtise n’est pas l’opposée de l’intelligence, mais qu’elle constitue un ensemble distinct qui se combine avec l’intelligence pour former la typologie que nous venons d’expliciter. Par ailleurs, il est intéressant de noter que des observateurs de la nature humaine ont déjà mis en parallèle ces deux entités. Thomas Edison a tout de même affirmé : « L’intelligence artificielle n’est rien comparée à la stupidité naturelle ».

 

Une question demeure : la bêtise serait-elle distribuée parmi les hommes sur le même modèle d’une courbe « normale », comme l’intelligence ? À cet égard, d’autres que moi ont démontré que l’intelligence, en effet, est répartie dans l’humanité suivant ce graphe :


Population

Bêtise                                                    Intelligence

 

 

Fig. 4 Distribution normale reconnue de la bêtise et de l’intelligence dans la population

 

Force est de constater cependant que la bêtise est distribuée différemment que sur le modèle de la courbe dite « normale ». Intuitivement, je soupçonne que la bêtise possède sa propre loi de distribution, car elle est bien plus répandue que l’intelligence.

 

La bêtise serait-elle distribuée dans la population suivant une droite, comme dans le graphique ci-dessous ? Cela reste à prouver…

Bêtise

Population

Fig. 5 Distribution de la bêtise : une hypothèse à vérifier

 

En effet, si dans une distribution « normale » de la population, on retrouve 2 % de gens très doués, ne devrait-on pas également trouver dans une telle distribution, 2 % de personnes stupides ? Pourquoi ce 2 % de la population se trouve-t-il toujours sur mon chemin ? L’explication ne serait-elle pas que les idiots sont et de loin plus nombreux ? Quant à moi, cela constitue avec les bosons de Higgs, un des grands mystères de l’univers.

 

Les six lois de la bêtise

 

« Les imbéciles grandissent sans qu’on les arrose Â» - Thomas Fuller

 

Première loi de la bêtise : l’intelligence est élitiste, la bêtise est démocratique.

 

Alors que l’intelligence est un don élitiste, la bêtise, elle, est plutôt démocratique. En effet, rares sont les êtres humains qui possèdent un très haut degré d’intelligence. Les génies ne courent pas les rues. La Nature distribue ce don de façon parcimonieuse. Ceux qui en sont dotés forment la crème de la crème de l’humanité.

 

Par contre, le potentiel de bêtise inné est distribué également à travers tout le genre humain. Nous en recevons tous une dose équivalente dès la naissance. Même si cela peut parfois étonner ou susciter l’admiration, personne ne semble jaloux du voisin pour la quantité de bêtise qu’il possède. À l’inverse, en général, les génies sont enviés pour cette intelligence qui leur permet de comprendre certains mystères de la vie.

 

On pourrait qualifier ce potentiel de bêtise que nous recevons à la naissance de Capital Inné de Bêtise (CIB) et qui est, fort probablement, inscrit dans notre ADN. Ce potentiel de bêtise (CIB) est exploité différemment par chaque individu de l’espèce, en fonction d’une foule de facteurs qui contribuent soit à sa manifestation, soit à son inhibition. Certains dépensent ce CIB de façon immodérée et ostentatoire, affichant leur bêtise de manière tapageuse. La bêtise dont font preuve certaines gens attire notre attention et parfois même notre admiration ! Comment et pourquoi tant de bêtise peut-elle résider chez un seul être ? On est en droit de se poser la question, de la même façon que l’on pourrait se demander comment et pourquoi la Nature a tant choyé certains génies, tels Leonardo, Einstein et Picasso. La question demeure : si nous sommes tous dotés d’un CIB équivalent, comment se fait-il que certains soient plus bêtes que d’autres ?

 

La bêtise n’est pas prévisible et c’est sans doute ce qui rend son étude si difficile au plan scientifique. Elle ne peut être reproduite et mesurée, comme tout phénomène scientifique. Par contre, on peut affirmer, pour l’avoir observé à maintes reprises, que certains individus sont nés bêtes et feront preuve de bêtise toute leur vie, quelles que soient les circonstances. De plus, et contrairement à l’avis de certains scientifiques, il se pourrait que chez l’homme la bêtise croisse avec l’âge, mais ceci reste une hypothèse à vérifier. Jacques Brel n’a-t-il pas chanté que les êtres humains « plus ça devient vieux, plus ça devient con » ?

 

Deuxième loi de la bêtise : Les cons, c’est les autres.

 

Chose intéressante, la bêtise ne se manifeste que chez les autres, jamais chez l’observateur. Cela est sans doute la seule règle universelle que je peux formuler avec certitude. Nous faisons rarement preuve de bêtise, en toutes circonstances. Alors que les personnes autour de nous ne font que ça ! Le degré de leur bêtise peut varier et peut nous faire sourire, parfois avec condescendance. Dans d’autres cas, elle peut nous faire grincer des dents. Si, à l’occasion d’une bévue, d’une maladresse ou d’une simple ânerie, quelqu’un s’exclame « Oh ! Suis-je bête ! » sur un ton navré, il ne fait pas appel à une confirmation de notre part (même si nous serions tentés de le faire), mais plutôt à notre compréhension, pour l’excuser. Le sous-entendu est qu’il est intelligent « normalement » et que sa bêtise n’est que passagère.

 

À l’inverse, nous sommes tous dotés d’une dose d’intelligence que nous tenons pour acquise, que nous démontrons à tout venant et dont nous sommes fiers. Que personne ne vienne douter ouvertement de notre intelligence ; il ferait preuve de grossièreté, voire de stupidité évidente. De plus, en général, on se croit plus intelligent que le voisin. C’est là une des certitudes de la vie que nous ne contestons pas, par simple délicatesse sociale. Non seulement nous avons la conviction d’être plus intelligent que le voisin, mais parfois sa bêtise nous surprend… bien que nous la tolérions. Si un individu fait la démonstration de son intelligence, rarement fera-t-il la constatation « Oh ! Que je suis donc intelligent ! Â». Pourquoi ? Sans doute parce qu’il est convaincu que son intelligence est l’évidence même, inutile donc d’en faire mention. D’ailleurs, face Ã  cette exclamation, quelle serait notre réponse ?

 

Troisième loi de la bêtise : Naïveté et innocence sont les deux mamelles du bon sens.

 

Prenons un exemple pour illustrer cette loi. L’adage veut que seule la vérité sorte de la bouche des enfants. On leur reconnaît cette fraîcheur naïve qui leur fait apprécier le moment présent et qui apparaît aux adultes comme pleine de bon sens. Leur innocence semble les protéger de la bêtise des grands. Tout leur comportement est conditionné par le jeu, l’apprentissage et le plaisir : ils disent les choses telles qu’ils les voient, sans artifices et sans détour. Ils ne cherchent pas à appliquer une règle, à se conformer ou à démontrer quoi que ce soit. Dès qu’ils perdent cette innocence, ils entrent dans ce qu’on nomme généralement « l’âge bête ».

 

Ce constat en amène un autre sous forme de question : l’éducation ne serait-elle pas justement cet effort déployé pour faire acquérir aux enfants la bêtise nécessaire pour fonctionner en société ? Pour être comme tout le monde ?

 

Quatrième loi de la bêtise : La bêtise ne se reconnaît pas

 

Non seulement un idiot ne reconnaîtra jamais son état, mais sa bêtise pourrait nuire à sa connaissance. Il lui est difficile d’admettre qu’il est con et cela l’empêche de modifier cet état de fait. Le pire idiot est celui qui pense tout savoir et qui vous assomme de son ignorance. Il n’a rien lu ou peut-être un seul livre (ce livre unique est souvent un livre révélé par une instance supérieure…), il se fie à des ouï-dire et des potins, il croit tout ce qu’il glane sur l’Internet, ses sources de renseignement sont douteuses ou superficielles, il se suffit d’informations qui vont dans le sens de ses préjugés, il ne critique pas. Bref, il ignore tout simplement ce qui ne confirme pas ses maigres connaissances. Sa bêtise l’empêche de fouiller un sujet et d’exercer le moindre jugement.

 

Cinquième loi de la bêtise : La bêtise n’a point de limites

 

Les limites de la bêtise sont repoussées par une force constante (F) vers un point (I) situé à l’infini. En ce sens, elle n’a pratiquement pas de limites. Certains pourraient ainsi dire qu’elle est infinie et donc insondable, ce qui ne serait pas entièrement faux. Einstein aurait affirmé : « Deux choses sont infinies : l’Univers et la bêtise humaine. Mais en ce qui a trait à l’univers, je n’en ai pas encore acquis la certitude ». La bêtise humaine ne cessera de surprendre par son expansion rapide et sans cesse croissante. Alors que vous pensiez avoir observé chez un individu un haut degré de bêtise qui pourrait vous faire dire « On aura tout vu ! », quelle ne sera pas votre surprise de constater un peu plus tard qu’un autre individu voudra être le porte-étendard des imbéciles et revendiquera le titre de roi des cons, que vous lui accorderez en baissant les épaules.  Car, vous en conviendrez, la bêtise n’a point de limites.

 

Sixième loi de la bêtise : La bêtise est universelle

 

Les manifestations de la bêtise sont nombreuses et touchent toutes les dimensions de la pensée et de l’activité humaine. Elle n’épargne aucune race et ne favorise aucune époque particulière de son histoire. Ce n’est souvent qu’après coup, à la lumière de nouvelles découvertes ou de nouvelles croyances, que les hommes constatent la bêtise de leurs ancêtres. On peut alors entendre des commentaires tels que « Comment ont-ils donc pu croire que la terre était plate ? » ou encore « comment se fait-il que les hommes de la préhistoire adoraient des arbres ? ». Comme cela a été démontré dans certaines des lois précédentes, les manifestations de la stupidité sont variées et ne sont pas exclusives à une région du globe ou une période donnée. En ce sens, on peut dire qu’elle est universelle.

 

Guide de survie : les causes de la bêtise et quelques remèdes

 

« Il compense en stupidité ce qui lui manque en intelligence. Â»  - Anonyme

 

Si nous nous attardons à cerner les origines et les formes de la bêtise, cela nous permettrait de l’éviter, et ce, particulièrement dans les relations sociales. En effet, ne serait-il pas pratique de savoir si notre interlocuteur est doué pour la chose suffisamment tôt pour cesser rapidement la conversation ?  La réponse affirmative à cette question vaut tout l’effort mis dans ce traité. Quelles sont donc ces causes ?

 

Les convictions salvatrices : ce sont là des convictions profondes de toutes sortes auxquelles votre interlocuteur croit dur comme fer, malgré leur manque de fondement logique. Il en est tellement convaincu qu’il serait prêt à défendre bec et ongle ces inepties avec un acharnement qui va jusqu’à l’entêtement total. Il ne reconnaît pas les faits ni la réalité ; seules ses croyances ont de l’importance à ses yeux. Son credo est fondé bien souvent sur une forme d’ignorance. Vous aurez beau lui expliquer que son raisonnement ne tient pas la route, que ses idées ont été maintes fois démontrées fausses et non avérées par la science ou le sens commun, rien n’y fera. Comme l’a si bien remarqué Bertrand Russell : « L’ennui dans le monde, c’est que les idiots sont sûrs d’eux et les gens sensés pleins de doutes ».

 

Plus vous essaierez de démontrer à un imbécile la fausseté de ses convictions, plus vous exciterez sa bêtise. Il y aurait là sans doute un lien de causalité. Jamais il ne reniera sa croyance en ces convictions salvatrices. Pourquoi salvatrices ?

 

Parce que sa foi aveugle dans ses idées représente pour lui le moyen d’expliquer le monde, l’absurdité de l’existence et de donner un sens à la vie, de le vacciner contre une existence insignifiante. Par exemple, cette conviction pourrait être que la technologie sauvera la planète ou qu’un rituel religieux peut préserver ou guérir du mal. Ou encore, qu’une théorie « scientifique » expliquerait certains phénomènes de la nature. Durant des millénaires, l’homme croyait que la Terre était plate et qu’elle se trouvait au centre de l’univers, jusqu’au jour où Copernic et Galilée ont démontré le contraire. Les Japonais ont longtemps cru que leur empereur était Dieu, jusqu’à ce jour fatidique, en 1946, où Hirohito, sous la pression des Américains, renonce à sa nature de « divinité à forme humaine ». Entre temps, des centaines, voire des milliers d’hommes ont perdu leur vie pour défendre ces idées farfelues.

 

Les religions seraient sans doute la plus grande source de bêtise chez l’homme. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à observer le comportement des fondamentalistes de tous poils et de toutes croyances qui « dialoguent » directement avec Dieu, de qui ils reçoivent des ordres précis sur leurs agissements et ceux de leurs voisins. Depuis Noé, on n’a pas fait mieux. « Il n’y a pas de péché sinon la stupidité » affirmait Oscar Wilde.

 

Enfin, certaines personnes prétendent que dans l’ignorance se trouve une certaine forme de bonheur simple et gratifiant, surtout si cette ignorance est partagée par un grand nombre. Pourquoi se triturer les méninges et se remettre en question ? Cela dérange et force l’esprit à réfléchir. N’est-il pas plus commode d’éviter ce genre d’exercice pernicieux et de se fondre dans la majorité silencieuse ? Voltaire lui-même se posait la question, mais arrivait à une conclusion différente : « Je me suis dit cent fois que je serais heureux si j’étais aussi sot que ma voisine, et cependant je ne voudrais pas d’un tel bonheur ».

 

Comment y remédier : dès que vous vous trouvez en présence d’un individu qui invoque un texte sacré, fait référence à une étude scientifique quelconque, cite une personne supposément « digne de foi » qui occupe généralement un rang d’autorité, de grâce, méfiez-vous ! De telles personnes ont le don de réduire les questions les plus compliquées à quelques phrases-clés qui résument leur bêtise. Par exemple, si ces personnes citent la Bible, le Coran ou l’Évangile, elles le feront généralement au pied de la lettre, sans les nuances indispensables. Cela est également vrai pour les résultats de recherches académiques cités hors de leurs contextes. Le monde est bien trop complexe et, malheureusement, ceux qui ont des convictions salvatrices ne sont pas prêts à le reconnaître. Par contre, ils n’hésitent pas à nous bombarder de leur sotte ignorance.

 

Les moutons de Panurge : une des causes de la bêtise est que l’humain ne peut éviter d’imiter son semblable. C’est une sorte de réflexe atavique de l’espèce, hérité de l’époque lointaine où les hommes vivaient en clan. Ils recherchent dans le nombre et l’uniformité, une sorte de vérité, de sagesse et de confort. Plus ils sont nombreux à croire à une idée ou à suivre une mode et plus les hommes sont convaincus d’être sur le droit chemin, un peu comme ces gnous qui galopent dans la savane africaine vers le précipice, en suivant leur leader sans trop savoir pourquoi. Cette course folle du gnou vers la mort a sans doute été expliquée par des scientifiques. Mais a-t-on déjà expliqué, autrement que par la bêtise, pourquoi les hommes s’obligent à suivre aveuglément leurs semblables ?

 

Comment y remédier : méfiez-vous de votre instinct qui vous pousserait naturellement vers la majorité et ses idées reçues. Si toute la foule se dirige dans un sens, demandez-vous pourquoi !  Et ensuite, prenez votre décision. Résistez à l’élan premier, examinez la situation et faites-vous une opinion en fonction de votre perception de la situation. La vérité que vous cherchez est peut-être en vous !

 

La rectitude politique : depuis une vingtaine d’années, la rectitude politique (le « politically correct ») est devenue à ce point intolérable qu’il est très difficile d’exprimer une opinion différente de celle de la majorité, de contester telle ou telle loi ou de prendre position contre le courant d’idées qui prévaut. Ce mouvement, qui a débuté aux États-Unis, est maintenant largement répandu et les obsessions conservatrices et néolibérales dominent le monde. Où sont les mouvements contestataires des années ’60 ? Les anarchiques du début du XX siècle ? Les mouvements socialistes ou prolétaires qui ont marqué l’Histoire ? Sans doute qu’une certaine peur de l’exclusion pousse l’homme à ranger ses idées et ses croyances personnelles pour adopter aveuglément celle de la majorité, qui deviendra vite silencieuse et indifférente. Il préfère étouffer sa voix, et ce faisant, perdre son âme à son insu. Sa bêtise finira par le damner.

 

Comment y remédier : il est difficile de réfléchir par soi-même, de chercher en soi une certaine vérité et de prendre les moyens pour la défendre, avec les risques que cela comporte. Pour cela, il est important de développer un esprit critique et surtout d’avoir le courage d’exprimer son opinion, même si cela peut entraîner l’isolement. Malheureusement, il faut constater que l’esprit critique est une compétence que le système d’éducation, les médias et les valeurs véhiculées par l’Establishment tentent d’étouffer à tout prix chez les hommes d’aujourd’hui. Ils préfèrent cultiver la bêtise. D’ailleurs, ils y réussissent admirablement.

 

L’illusion du pouvoir : le pouvoir est une drogue et généralement, les humains en sont accros. Confiez à un individu un poste qui lui confère une parcelle de pouvoir et vous verrez comment il s’y prendra pour l’exercer, le défendre et l’élargir. Les exemples sont nombreux, surtout parmi ceux qui travaillent dans une grande bureaucratie. Ils sont faciles à reconnaître, car plusieurs portent un uniforme, tels que les policiers, le corps médical, les employés des Postes, des compagnies de téléphone et des services publiques. Ils se prennent pour des personnages importants et peut-être le sont-ils effectivement. Mais la façon aveugle et bête d’appliquer le règlement, sans jugement aucun, sans considération pour les conditions particulières qui prévalent à un moment donné, est bien l’une des preuves irréfutables de la bêtise humaine. Pour exercer un peu d’autorité sur leur voisin, pour suivre des ordres venus d’une instance supérieure sans poser de questions, les hommes ont démontré au cours des siècles leur bêtise totale, allant jusqu’à la cruauté la plus abjecte. À cet égard, il faut se souvenir de ces paroles de Martin Luther King : « Rien n’est plus dangereux au monde que la véritable ignorance et la stupidité consciencieuse. »

 

Comment y remédier : il n’y a, malheureusement, aucun antidote à cette drogue létale. Même en quantité infime, elle transforme les êtres les plus sages en fieffés imbéciles. C’est une des causes du désespoir existentiel et il mènera très certainement l’humanité à sa perte.

 

Le sérieux ou le manque d’humour : ne pas savoir rire de soi-même est sans aucun doute le mal du siècle. Pour paraphraser un philosophe célèbre, les gens qui ne savent pas rire me font peur. Tout le monde se prend au sérieux et prend toute la vie au sérieux, à tel point que le rire a disparu du domaine public. Rire des autres également ne se fait plus, par rectitude sociale et de peur de froisser. La dérision est de plus en plus rare. Et pourtant ! Avec l’humour, on pourrait changer le monde ! De grands philosophes, considérés universellement comme des sages de notre civilisation occidentale, des penseurs comme Socrate, Voltaire et même le très sérieux Nietzsche, ont pratiqué le sarcasme et l’ironie pour remédier à la bêtise humaine. C’est une façon de souligner le ridicule de ces fondamentalistes de la bêtise. D’après Voltaire : « le ridicule est une puissante barrière contre les extravagances des sectaires ».

 

Rien ne devrait résister à l’humour et encore moins les vaches sacrées de la scène publique, politique et religieuse. Ni nos héros, ni nos dieux, ni nos démons, ni nos prophètes ou nos croyances et encore moins ce que j’écris ici… rien ne devrait résister à une bonne caricature ou à un jeu de mots drôle. Rien ne devrait être plus important que le rire ! C’est le remède à tous nos maux et à toutes ces conneries ! Et au passage, je salue le courage des caricaturistes de tout acabit qui, chaque jour, risquent les reproches des gens dits « sérieux ». Certains y ont même laissé la vie…


Comment y remédier : en se moquant et en ridiculisant ces imbéciles, qui veulent nous étouffer dans l’étroitesse de leur monde sectaire et nous imposer leur stupidité. En dévoilant et en dénonçant sur la place publique leur bêtise et leur connerie congénitale, comme les habits de l’empereur. Seul le rire peut nous guérir et nous sauver de la bêtise ambiante.

 

***

 

Peut-on conclure sur un sujet aussi vaste ?

 

« Quelle époque terrible que celle où des idiots dirigent des aveugles Â» - Shakespeare

 

À mon avis, il n’existe qu’un seul remède à la bêtise, même si les formes de cette affliction sont nombreuses. C’est le sens commun. En effet, un peu de « gros bons sens », d’exercice de l’esprit critique, de jugement, de réflexion avant de parler ou de passer à l’action, voilà qui sauverait bien des idiots de leur triste sort. Mais pour cela, il faudrait faire preuve d’une certaine humilité, reconnaître son ignorance et, surtout, vouloir apprendre.

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