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SICILE

(Extrait des notes d’un voyage effectué à l’automne 2010 autour de la Méditerranée)

 

À première vue, le symbole de la Sicile peut paraître bizarre. Une tête de Méduse d’où sortent trois jambes pliées qui lui donnent l’allure d’une roue. Les trois jambes représentent les trois pointes de l’île. Méduse, avec sa chevelure de serpents, est une déesse qui sème la mort et dont la représentation terrifiante protège de l’ennemi.

Nous avons parcouru une partie de la Sicile à toute jambe, en nous limitant à quelques lieux incontournables. Une semaine, c’est court pour voir et apprécier les multiples visages de cette île enchantée. Cependant, cela est suffisant pour donner le goût d’yretourner. Nous avons trouvé des paysages sublimes, une histoire très riche remontant à l’Antiquité, un art qui couvre des périodes et des origines diverses, et une gastronomie régionale délicieuse. Bref, tout ce que l’on pourrait rechercher pour rendre des vacances agréables et instructives. Un peu comme les triples jambes de son symbole, notre parcours de la Sicile s’est fait en trois temps. Plus une demi-mesure, par-dessus le marché…en guise de surprise !

 

Premier temps : Syracuse, la nuit

 

Après une arrivée tardive à Syracuse, nous commençons notre séjour par une promenade nocturne sur la corniche de l’île d’Ortigia qui prolonge la ville dans la mer et renferme sa partie historique. La nuit est tombée et les rues sont presque désertes, les touristes y sont rares et pourtant il n’est que vingt heures. La brise humide apporte des parfums d’algues. Les rues sont éclairées par des réverbères qui ont sûrement connu l’époque du gaz, ou peut-être bien celles des chandelles, tellement ils semblent vieux, mais magnifiques avec leur fer ouvragé. Nous nous engageons dans des ruelles si étroites que les voisins de part et d’autre, pourraient se donner la main. Ici, la proximité est telle que l’on est sans doute au courant de la vie intime des voisins, de leurs moindres habitudes. On fait partie de la famille. Il faut juste faire attention de zapper le bon poste de télévision pour éviter les cris d’un voisin surpris de cette intrusion ! Mais étonnamment, aucun brouhaha typique d’un dîner à l’italienne n’émane de toutes ces fenêtres ouvertes sauf, parfois, un air de musique.

 

Nos pas nous mènent par de délicieux détours vers des palais silencieux aux murs hauts et imposants, troués de fenêtres voilées de délicats fers forgés. Les balcons reposent sur d’énormes pierres taillées en forme d’acanthe ou de coquillage. Tout respire l’Histoire et la prospérité d’un passé révolu.

 

Aujourd’hui, Ortigia peut sembler un peu délabrée. Pourtant elle a connu un passé glorieux, rivalisant avec Athènes et Carthage. Elle a été fondée par des Grecs de Corinthe au huitième siècle avant notre ère. Mais cette colonie rejette le joug d’Athènes et vers 416 av. J.-C., le conflit éclate. Le général athénien Alcibiade remporte la victoire, un des épisodes célèbres de l’Antiquité. Ortigia, c’est aussi la ville d’Archimède, ce savant distrait et original, une sorte de Professeur Tournesol, tellement absorbé par ses recherches qu’il en oubliait de se laver et de manger. C’est dans ces mêmes rues que nous parcourons cette nuit, qu’il a crié, émergeant tout nu de son bain : « Eurêka ! J’ai trouvé ! » Il venait de découvrir qu’un corps plongé dans l’eau… en sort tout mouillé !

Syracuse et sa petite île d’Ortigia ont reçu des visiteurs célèbres dont Platon, qui entretenait une relation plutôt tendue avec le tyran local, Denys l’Ancien. Eschyle aurait choisi cette cité pour la première de certaines de ses pièces. Le Teatro greco constitue d’ailleurs une des attractions de la ville. Taillé à flanc de montagne et tirant avantage de la pente douce, c’est un des amphithéâtres les plus importants de l’Antiquité et, sans doute, l’un des mieux conservés. Notre promenade nocturne se poursuit par des venelles et des vicolas désertes et sombres. Tout est silencieux.

 

Soudain, le Duomo surgit de façon inattendue, éclairé a giorno ! De forme irrégulière, la Piazza del Duomo est dominée par la cathédrale d’un baroque flamboyant du 18e siècle, construite sur le site d’un temple érigé en l’honneur

d’Athéna pour célébrer la victoire de la cité antique contre les Carthaginois. La façade est relativement récente, mais l’arrière de l’église conserve curieusement les colonnades du temple. Sur le côté de la place se trouve la chapelle de Santa Lucia, patronne de la ville. La piazza est cernée par des palais transformés en édifices administratifs. Quelques personnes s’attardent aux deux cafés encore ouverts. Nous quittons cet espace comme on se réveille d’un beau rêve, nous promettant d’y retourner le lendemain pour notre café matinal.

 

Nous poursuivons notre marche dans Syracuse, guidés par l’air marin. Sur la route du retour, nous voilà devant la Fontaine d’Artémis, avec la déesse et ses chevaux. C’est la Piazza Archimede, élégante et sobre, enchâssée entre de beaux palais. Le lendemain, nous reprenons ce même chemin. Le Duomo a l’air encore plus majestueux, les rayons obliques du soleil éclatant faisant ressortir le détail des plis de marbre des toges épiscopales et de fines moulures de calcaire, semblables à de la soie. C’est dans un café de cette Piazza que l’on peut déguster l’un des meilleurs cannoli de Sicile, croquant de fraîcheur et pourtant parfaitement onctueux.

 

Deuxième temps : Taormine, la sérénité du panorama

 

Guy de Maupassant a écrit dans La vie errante, cette phrase : « Un homme n’aurait à passer qu’un jour en Sicile et demanderait : “Que faut-il y voir ? Je lui répondrais sans hésiter : Taormine. » Et il ne se trompe pas, le bel ami Guy ! C’est un véritable nid d’aigle entre mer et montagne, résultat sans doute d’une coulée de lave de l’Etna tout proche. La ville est toute en lacets bordés de maisons serrées les unes contre les autres, comme pour se prémunir d’une chute dans l’eau, plus bas. On grimpe une côte assez abrupte, à peine assez large pour le trafic à double sens des nombreux autocars de touristes nordiques.

 

Nous avons la chance d’avoir une chambre avec une vue sur l’infini. Difficile à dire où s’achève la mer et où commence le ciel d’un bleu qui change de ton et de nuance au gré du soleil. Tout est calme, sauf pour le frou-frou des ailes des colombes qui s’amusent dans les citronniers et les hibiscus géants. Encore une fois, c’est Maupassant qui trouve l’expression juste pour décrire notre émotion face à cette sérénité : « Ce n’est qu’un paysage, mais un paysage où l’on trouve tout ce qui semble fait sur la terre pour séduire les yeux, l’esprit et l’imagination ». Deux jours de bonheur sur une terrasse perdue dans les nuages. Il n’y a rien de particulier à voir à Taormine, avec le résultat que l’on peut flâner dans ses petites rues, sans but précis et se délecter du temps qui passe. Il a été difficile de nous arracher à ce paysage, si ce n’est qu’après avoir fait la promesse d’y revenir un jour.

 

Un demi temps pour Cefalu : la surprise normande

 

Nous voilà coincés à Cefalu, sur la mer Tyrrhénienne, sous une pluie battante. Nous logeons dans un hôtel en bord de mer, sans pouvoir profiter de la plage. Le lendemain, nous avions donc hâte de quitter ce ciel gris et incertain. Cependant, une décision de dernière minute a changé cette halte ratée en surprise des plus agréables. En effet, avant de prendre l’autoroute, nous avons bifurqué vers le village pour visiter le Duomo que l’on peut apercevoir de loin, dressé sur un cap, massif et dominant la mer.

 

Une petite merveille que cette église de style normand ; elle mérite le détour. Elle date des 12 et 13es siècles, initiée par ce fameux roi Roger II venu de Normandie. Elle contient des mosaïques sur fond or qui tapissent tous les murs intérieurs. Un immense Christ Pentocrator d’une rare beauté domine l’autel, une main levée et l’autre tenant un texte saint. On ne peut que s’incliner devant tant d’art, de simplicité et de majesté. Après ce demi-temps consacré à cette surprise normande, nous reprenons la route, heureux de cette découverte qui nous a vite fait oublier les caprices du climat.

 

Troisième temps : Palerme, vacarme et vidanges

 

Palerme, c’est déjà l’Orient. On est loin de l’élégance de Florence ou de la beauté de Taormine. C’est un port de mer ouvert sur l’Afrique toute proche, le Moyen-Orient et le monde. Elle a sans doute connu une immense richesse au siècle dernier, période à laquelle remontent presque tous les immeubles de la ville. Dans le Centro, les quelques constructions récentes proviennent de la période fasciste, comme le siège de la Poste et des télégraphes. Certains édifices datent des années cinquante, années de reconstruction de l’île. Elles n’ont aucun caractère et donnent à Palerme l’image d’une ville du Tiers-Monde.

 

Par contre, on retrouve également de belles avenues avec des boutiques de luxe, telles Hermès, Gucci, Cartier et compagnie, ainsi que quelques cafés chics où des hommes d’affaires et des femmes « bijoutées » sont en grande conversation. Mais le reste du centre-ville est dans un état de délabrement assez sordide. C’est à Palerme que l’on constate à quel point la Sicile est pauvre. À la limite, elle aurait pu être pauvre, mais propre. Ce n’est pas le cas. Rarement voit-on une ville aussi sale, avec des détritus qui volent partout et des poubelles débordantes, sans souci pour l’hygiène publique. Les gens ne se gênent pas pour cracher à terre et jeter leurs coupelles de gelato n’importe où !

 

Les rues sont pavées de gros blocs de granit ayant acquis avec les ans une patine qui n’est pas sans rappeler le charme des vieilles villes de la Méditerranée. Dommage qu’elles soient jonchées de toutes ces ordures. De plus, dès vingt heures, des jeunes de quinze à vingt ans envahissent le Centro et y circulent en grands groupes tapageurs et sans-gêne. À pied ou en vespas, ils sont partout et font beaucoup trop de bruit. La nuit du samedi, ils font la fête jusqu’à quatre heures du matin, sans égard pour la ville qui dort. Tout le monde s’en plaint, mais tolère la situation avec l’air de dire : « Bah ! C’est la jeunesse, un jour ça passera… » Entre temps, nous n’avons pas pu fermer l’œil.

 

Au cœur de cette fange urbaine, il y a une petite perle : la chapelle Palatine dans le Château des Normands. Un bijou fait de mosaïques sur fond or du 12e siècle. Le marbre y a été ciselé et taillé finement et recouvre le parterre et les murs. L’influence arabe est présente par ses motifs géométriques ou végétaux. Cette chapelle est grandiose malgré sa taille modeste.

Mais si vous voulez vraiment être impressionné par l’art roman et normand et la splendeur ornementale des mosaïques, vous devrez sortir de Palerme et vous rendre par bus à Monreale, qui se trouve à une vingtaine de minutes du Centro. Dominant la Conca d’Oro, cette petite ville est chapeautée par une grande cathédrale du 12e siècle, construite par le petit-fils de Roger II. La légende veut que la Vierge lui soit apparue en songe et lui ait révélé la cachette du trésor de son grand-père. C’est avec cet or que la cathédrale aurait été bâtie. La richesse de la décoration intérieure témoigne du fait que le roi a effectivement bien trouvé le trésor de son ancêtre !

 

Tant par sa grandeur que par la diversité et la qualité des mosaïques, cette cathédrale surpasse tout ce que l’on peut admirer en Italie. Des artistes venus

de partout ont participé à cette œuvre grandiose et y ont représenté plusieurs récits de la Bible et du Nouveau Testament. À l’époque, il s’agissait non seulement d’impressionner le croyant par cette profusion d’or, mais aussi de l’instruire. Quelques siècles plus tard, on reste encore ébahi par ce réalisme, cette délicatesse et cette expression religieuse.

 

Un lourd trafic et une piètre gestion des sites touristiques nous ont empêchés de consacrer suffisamment de temps à ce chef-d’œuvre.  Nous avons dû courir pour attraper le dernier bus. Ce départ précipité a coupé court notre visite et nous incite à vouloir revenir un jour en Sicile. Mais cette fois-là, prudents et avertis, nous contournerons Palerme.

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