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L'ARBRE DE PERLES

La femme musulmane vit des heures difficiles depuis quelques années. Le voile qu’elle porte n’est que l’un des nombreux facteurs qui influent son quotidien et sur l’image qu’elle projette. À tort ou à raison, cet objet est accusé par certains de maintenir la femme musulmane dans un état de dépendance, voire de servilité, par rapport aux hommes. Telle est en tout cas la thèse de certains observateurs contemporains qui affirment que la femme ne joue pas de rôle important dans les pays musulmans et que le pouvoir lui a toujours échappé. Et pourtant, au cours de l’Histoire, plusieurs femmes musulmanes ont eu une influence importante dans l’administration de leur pays, certaines dans les coulisses du pouvoir d’autres à l’avant-scène. En voici un exemple.

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Remontons le temps….

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Égypte. Vers l’an 1229. Frédéric II, empereur germanique, organise une croisade pour reconquérir le royaume de Jérusalem perdu depuis la conquête de Saladin.

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Les croisés profitent de conflits entre Le Caire et Damas pour envahir l’Égypte. Ils remportent quelques victoires et finalement un traité est signé permettant la restitution d’une ville contre des prisonniers chrétiens. Le sultan d’Égypte envoie son fils El-Saleh Ayoub en otage chez les Francs pour garantir la bonne exécution de l’accord. Ce dernier demeurera ainsi en exil de 1232 à 1238. Durant cette période, on lui présente une esclave qui sera appelée à conquérir un statut privilégié dans le monde des femmes musulmanes.  Qui était donc cette « figure emblématique pour les féministes du monde arabe »?

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À défaut d’une représentation d’époque, ce tableau de Leon Herbo du XIX s. est utilisé comme substitut.
 

Les historiens lui attribuent une origine arménienne, géorgienne ou peut-être turque, nul ne le sait de façon certaine. Même son nom véritable demeure un mystère. Elle est connue par le surnom que le jeune prince lui donna : « Shagaret Al-Dor », l’arbre de perles. Épris par sa beauté et son intelligence, El-Saleh tombe sous le charme de cette esclave : « teint lumineux, magnifique chevelure noir de jais, sourcils en croissant de lune, la grâce d’un nez qui évoque la délicieuse confiserie que les Arabes qualifient de ‘balah-el-cham’, datte de Syrie. La bouche est aussi ensorcelante que le sceau de Salomon ». Quelques temps plus tard, El-Saleh succède à son père, devient sultan d’Égypte, abandonne ses femmes précédentes et enfants, et épouse Shagaret Al-Dor. Ils auront un enfant, Khalil, qui mourra en bas âge.

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Elle entreprend à cette période son apprentissage politique. Rapidement, elle agit comme conseillère privilégiée du sultan et influence ses décisions. Ce sera elle qui l’incitera à faire venir en Égypte de nombreux esclaves mamelouks pour défendre le pays contre les ennemis extérieurs, principalement les croisés. Au cours des siècles à venir, ces mamelouks occuperont une place importante dans l’histoire du pays.

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En 1249, lors de la septième croisade, El-Saleh part en guerre et c’est Shagaret Al-Dor qui va assumer le rôle de régente et assurer la défense de l’Égypte. Cependant, son mari retourne et meurt à Mansoura en novembre. Sa mort est dissimulée avec l’accord des généraux, afin de ne pas affaiblir les troupes et donner un avantage aux assaillants. Durant quelques semaines, elle feint de porter de la nourriture dans la chambre du sultan défunt et en sort avec des décrets qu’elle avait pris soin de faire signer d’avance! Elle prend habilement le contrôle des affaires d’état et fait venir de Damas le fils du sultan d’une épouse précédente, Turan Shah, qui est désigné héritier du trône. Inexpérimenté et inapte au pouvoir, ses décisions sèment le désarroi, créant une vague de mécontentement parmi les troupes. Ses généraux, l’émir Baybars en tête, celui-là même qui règnera plus tard sur le pays, trucident le sultan lors d’un banquet. Shagaret Al-Dor « fut portée sur le trône, qui ne pouvait rester vacant (…) affirmant aux yeux de tous sa personnalité de ‘commandant en chef’ ». D’un commun accord les généraux et notables d’Égypte l’élèvent au rang de sultane, « exploit étonnant pour une femme ».

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La première reine des musulmans

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« Ainsi, par une décision sans précédent, dont l’exemple ne s’est plus jamais reproduit dans le monde arabe, une femme régnait à la tête de l’empire ». Shagaret Al-Dor va même prendre le titre de « reine des musulmans ». Son emprise sur le pouvoir civil et religieux est totale. Les pièces de monnaies portent son nom et ses titres. Même la khotba, le prêche du vendredi dans les mosquées, est faite en son nom : « Dieu protège la princesse, la servante d’Al Malik El-Saleh, la reine des musulmans, Sauvegarde du monde et de la religion, Om Khalil (mère de Khalil) … ».

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Pièces de monnaies frappées au nom de la sultane

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Shagaret Al-Dor prendra tous les insignes du pouvoir et exercera ses fonctions de façon ferme et juste. Admirée par sa cour, elle recevra les dignitaires et les hauts responsables « allongée sur un lit à baldaquin et cachée par un rideau qui soulignait ainsi le caractère quasi sacré de la reine des musulmans ».

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La sultane est une femme politique avisée. Elle épargne les prisonniers chrétiens et négocie habilement avec les croisés. Ainsi, non seulement reprend-elle Damiette, une ville portuaire tombée en leurs mains, mais elle exige de plus une rançon considérable pour libérer le roi Louis IX de France, fait prisonnier, rançon qui sera payée par l’Ordre du Temple.

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Louis IX assiégeant Damiette

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Une insulte suprême

 

Depuis la conquête par Saladin en 1169, l’Égypte était sous l’autorité du calife abbasside de Bagdad Al-Mousta’sem. Or, celui-ci jugeait qu’une femme ne pouvait pas occuper le trône, rôle réservé jusqu’ici exclusivement aux hommes. Indigné, il expédie une missive aux généraux du pays qui restera dans les annales : « S’il n’existe pas un homme parmi vous pour diriger le pays, faites-le moi savoir et je vous en enverrai un d’ici ». Insulte suprême et défi d’honneur lancé par le Commandeur des croyants! Les généraux réussirent à convaincre Shagaret Al-Dor d’épouser Ezzedine Aybak, intendant en chef du royaume. Elle n’a pas d’autre choix que de se plier à leur volonté et à celle du calife. Cependant, en stratège habile, par intérêt et par ambition, elle entreprend de le séduire. Sa beauté et son intelligence sont des armes redoutables. Avant de l’épouser en 1250, elle exige que Aybak divorce de sa femme, Om Ali. Ce geste lui sera finalement néfaste…

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Shagaret Al-Dor n’aura régné seule qu’environ trois mois en tant que sultane mais elle demeurera à la tête du pays encore quelques années.

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En effet, durant les sept ans qui suivent, Aybak est appelé à défendre son suzerain, le calife de Bagdad, sur divers champs de bataille en Syrie. Il est souvent absent et c’est donc Shagaret Al-Dor qui gouverne effectivement le pays, secondée par les mamelouks. Elle signe les décrets et s’occupe des affaires internes, civiles et religieuses.

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Une sultane jalouse

 

Au bout de sept ans, Aybak retourne au Caire et décide de prendre une seconde épouse. Craignant de subir le même sort qu’elle avait réservé à Om Ali, elle fomente une révolte avec des généraux qui lui sont fidèles. Sa jalousie est à son comble : elle cherche le moyen de conserver le pouvoir. Shagaret Al-Dor attire Aybak dans son palais. « Un chroniqueur nous affirme que le couple se réconcilia et qu’Aybak ‘honora’ sa femme ». Plus tard cette nuit, il va faire ses ablutions et à sa sortie du bain, il est poignardé par cinq mamelouks rebelles. Elle tente de cacher le crime mais sans grand succès. Attisée par de vieux adversaires, la rumeur se répand rapidement que le sultan est mort d’une mort violente.

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​Sur ces entrefaites, Ali, le fils issu de la première épouse, arrive sur les lieux et exige réparation. Shagaret Al-Dor est dépouillée de ses vêtements et bijoux devant la mère d’Ali. Celle-ci l’insulte et la frappe avec son sabot de bois et la laisse entre les mains des esclaves du harem qui la piétinent et l’achèvent à coups de bâton. « Le corps de la malheureuse est traîné par les pieds à l’extérieur et jeté presque nu par-dessus les remparts de la Citadelle. Il y restera plusieurs jours, livré aux chacals venus du désert, privé de sépulture. Ce qui restera de la dépouille de la seule sultane d’Égypte sera finalement rassemblé dans un panier et enterré dans le superbe mausolée qu’elle avait fait ériger en 1250 près des sépultures des saintes femmes dans la nécropole du Caire ».

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La Citadelle du Caire

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Ainsi prenait fin, en avril 1257, l’épopée de Shagaret Al-Dor.

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Elle fut la seule femme dans l’histoire du monde musulman arabe à accéder à la dignité de sultane. Grâce à une intelligence hors du commun, une force de caractère exceptionnelle, une détermination à toute épreuve et un esprit politique combatif Shagaret Al-Dor a su sortir de son état d’esclave pour atteindre les plus hauts sommets du pouvoir. Elle demeure encore aujourd’hui une source d’inspiration pour certaines féministes musulmanes.

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Le mausolée de Shagaret Al-Dor au Caire
 

Pour la petite histoire…

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Trois faits qui méritent d’être retenus :

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1. La disparition de Shagaret Al-Dor ouvrait la voie au règne des Mamelouks, règne qui devait durer 600 ans, jusqu’à l’avènement de Méhémet-Ali, en 1805, considéré comme le fondateur de l’Égypte moderne.

2. Shagaret Al-Dor n’est pas la seule femme musulmane à avoir exercé le pouvoir. En effet, quelques années auparavant, Razia al-Din a régné sur Delhi, en Inde, durant environ quatre ans, portant également le titre de sultane. Au Yémen, au 11ième et 12ième siècles, Arwa al-Sulayhi, quant à elle, a régné plus de soixante-dix ans en tant que reine, seule ou avec son époux.

3. Pour célébrer la disparition de Shagaret Al-Dor, sa rivale, la mère de Ali, fit distribuer aux pauvres du Caire du pain trempé dans du lait, accompagné de fruits secs et de noix. Ce dessert qui porte son nom, « Om -Ali », est encore en vogue de nos jours à travers toute l’Égypte. Si le peuple s’en délecte aujourd’hui, se souvient-il seulement de ses origines et de l’étoile filante qui illumina jadis le ciel de son pays?

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Sources :

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  1. Shagarat-ed-Dorr – Horizon d’Aton : (http://horizons-d-aton.over-blog.fr/article-28764405.html)

  2. Chajar ad-Durr – Wikipedia: (https://fr.wikipedia.org/wiki/Chajar_ad-Durr)

  3. Le sabre d’Allah – Gilbert Sinoué (Robert Laffont – 2016)

  4. Shajar Al-Durr, Queen of Egypt : HeadStuff: www.headstuff.org

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