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« OSER ! Â»

Résumé : Sous un soleil accablant, dans les rues désertes d’une banlieue inconnue, un adolescent découvre un monument qui allait marquer sa vie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il avançait d’un pas lent et peu assuré dans une chaleur oppressante. Il était parti sur un coup de tête sans trop penser que les après-midis de juillet pouvaient être étouffants dans cette banlieue à la limite du désert. Le soleil atteignait son zénith et répandait une lumière éclatante pailletée d’or, entrecoupée d’ombres profondes sous les sycomores. De temps à autre, il s’arrêtait, hésitant dans le calme, le temps de reprendre son souffle avant de poursuivre sa recherche. Il examinait chaque maison attentivement, essayant de la situer par rapport aux autres, aux croisements des rues et des quelques points de repère dont il pouvait à peine se souvenir. Ses pas s’enfonçaient dans l’asphalte devenu visqueux sous l’effet du soleil. Il marchait à grand-peine, le regard inquiet.

 

La chaleur écrasante ralentissait considérablement sa recherche. Son visage était recouvert de sueur, sa chemise lui collait à la peau et la fatigue le gagnait à chaque pas. Qu’est-ce qui avait bien pu le pousser à entreprendre cette expédition ? Âgé d’une douzaine d’années, il était parti avec sa classe pour une visite de trois jours de la capitale. Sous haute surveillance, le groupe d’adolescents s’était frayé un chemin à travers les rues bondées d’une populace bigarrée pour se rendre aux musées et autres sites historiques. Ensuite, ils eurent droit à un après-midi de congé. Alors que ses amis se précipitaient au bazar pour acheter des babioles, il s’était esquivé adroitement du regard des surveillants. Il avait sauté dans le premier métro en direction de la banlieue, le cœur battant la chamade.

 

Il avait recherché ce moment de liberté, mais il lui fallait un objectif qui pourrait éventuellement servir d’excuse à sa témérité. Vaguement, il avait esquissé un plan pour justifier son escapade. Il avait des cousins qui vivaient dans cette banlieue. N’était-ce pas là une bonne raison pour partir à l’aventure ?

 

Il gardait d’heureux souvenirs de cette famille nombreuse qui menait grand train dans cette enclave dorée. Avec ses parents, il venait y passer les Fêtes. C’était alors l’occasion de joyeuses retrouvailles du clan maternel. Lors de ces festivités annuelles, les douzaines de cousins pouvaient s’ébattre sous les regards approbateurs des parents et courir à travers des salons, des longs corridors et des chambres répartis dans de sombres et fraîches villas. Ces Noëls restaient parmi ses meilleurs souvenirs.

 

Au fur et à mesure que le métro avançait vers la banlieue, il échafaudait son plan. Le fait qu’il ignorait l’adresse exacte de leur maison ne semblait pas constituer un obstacle car il était convaincu de pouvoir retrouver son chemin « au pif ». Mais il était loin de se douter de la surprise qui l’attendait.

 

En effet, en descendant du métro, au hasard, il se retrouva au sein d’une vaste place cernée d’immeubles de style mauresque aux larges arcades sous lesquelles se dressaient des tables de cafés et des étals de boutiquiers. Après avoir erré dans plusieurs rues transversales, il finit par demander à un passant de lui indiquer le palais d’un richissime homme d’affaires, croyant pouvoir s’orienter à partir de ce point de repère.

 

Cette résidence hors du commun avait appartenu à un éminent baron européen. Celui-ci avait entrepris l’ambitieux projet de développer une cité cossue et d’un urbanisme avant-gardiste en banlieue de la capitale. Il s’était lui-même bâti, vers 1910, une grande villa à la limite du désert : une reproduction miniature du temple khmer d’Angkor Vat, découvert quelques années plus tôt. Une belle grande avenue aboutissait devant le palais maintenant abandonné et celui-ci trônait au centre d’une vaste étendue désertique, comme l’épave d’un bateau.

 

Il reprit donc son chemin, mais finit par s’égarer dans le dédale de cette banlieue assoupie sous un soleil de plomb. Le passant l’avait bien dirigé vers la villa du baron, mais il en était malgré tout assez loin. Descendu du métro à la mauvaise station, il était maintenant contraint de traverser toute la banlieue d’est en ouest.

 

Épuisé, la gorge sèche, il marchait depuis deux heures sous un soleil aveuglant et suait à grosses gouttes quand soudain, au détour d’une rue, il se retrouva face à un petit square ombragé. En son centre gazonné se trouvait une colonne sur laquelle se dressait le buste d’un homme. Intrigué, il s’approcha pour examiner de plus près ce monument insolite. Il s’agissait d’un homme portant un élégant nœud papillon très XIXe siècle et arborant fièrement une moustache d’aviateur. Son regard déterminé et hautain était comme un défi lancé au passant. Sous cet imposant buste, un aigle aux ailes déployées semblait figé dans son vol. Une inscription étonnante était gravée sur la colonne : « Oser ! ». Ce seul mot resterait gravé dans la mémoire du garçon pendant bien des années.

 

Après une longue marche dans les rues désertes, cette affirmation incongrue l’entraîna dans une réflexion intérieure. « Osez, vous dites ? Mais oui, j’ai osé ! J’ai parcouru des kilomètres à la recherche d’une oasis de fraîcheur sans boussole, sans guide, sans rien que ma mémoire, … et vous me dites d’oser ? Mais je n’ai fait que ça ! J’ai osé ! Je marche depuis des heures… j’ai relevé un défi considérable, comme ces valeureux explorateurs qui ont traversé le Sahara. Moi aussi, j’ai osé ! »

 

Il poursuivit son chemin, ruminant intérieurement cet ordre lancé par un inconnu.

 

Bien des années plus tard, il apprit au hasard d’une conversation avec un féru de la petite histoire de cette banlieue, que l’inconnu avait été un pionnier de l’aviation et qu’il se nommait Louis Pierre Mouillard (1834-1897). Né à Lyon, il avait vécu en Égypte et avait été passionné par toutes les tentatives de voler. Il avait consacré sa vie à étudier le vol des vautours et des milans dans le ciel égyptien et avait rédigé en 1881 un livre marquant à l’époque, soit L’Empire de l’air. Ce livre avait eu des répercussions notoires sur les premiers engins volants et était reconnu pour être à l’origine de plusieurs types de planeurs. Les frères Wright s’en étaient même inspirés pour construire le premier avion de l’histoire moderne. Mais Mouillard était mort pauvre et dans un complet anonymat. Plusieurs années plus tard, cette statue avait été érigée en mémoire de celui qui avait consacré sa vie à observer les oiseaux et résoudre le mystère de leur vol.

 

Mouillard avait osé remettre en question les fondements de l’aviation naissante et réfuter la théorie selon laquelle il fallait obligatoirement battre des ailes pour voler.

 

Oser !...

 

Ce verbe résonnait dans les oreilles du jeune garçon comme un ordre impérieux qu’il se devait de suivre. C’était à la fois un dictat intransigeant et un conseil d’ami. Ce petit mot puissant l’enjoignait à toujours aller au bout de ses rêves, même les plus fous, à ne pas avoir peur de l’inconnu, à persévérer avec détermination face aux obstacles pour atteindre le but fixé.

 

Oser… malgré des conditions difficiles comme celles qu’il rencontrait ce jour-là, sous cette chaleur accablante qui le prenait à la gorge et affaiblissait chaque muscle de son corps. Même figé dans le bronze, ce grand oiseau aux ailes déployées, semblait lui dire qu’en osant entreprendre l’impossible, lui aussi pourrait s’élever dans les airs, libre de toute attache, et planer vers son objectif.

 

Oser !...

 

« J’ai osé ! Je suis là ! Je poursuivrai mon chemin et je vais trouver cette maison ! Rien ne m’arrêtera ! » Plein d’une nouvelle détermination, le garçon retrouve un regain d’énergie et découvre enfin la rue qui mène à la demeure de ses cousins. Après de longues heures de marche, une véritable traversée du désert, il a atteint son objectif. Ses cousins, surpris de le voir apparaître tout à coup dans le jardin, lui font la fête.

 

Il avait osé !

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