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SCIENCE ET CONSCIENCE

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme »
Rabelais (Pantagruel)

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Au cœur du sujet : l’immortalité


« Depuis les premiers âges, l’histoire humaine semble n’avoir pour seule mécanique que la quête de l’immortalité. Par tous les moyens, de fables, de folie ou de raison. » (Hubert Haddad – L’invention du diable (Éd. Zulma, Paris, 2022)

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L’immortalité semble avoir été de tout temps la préoccupation fondamentale de l’homme. Face à son mystère et à l’inconnu qui s’en suit, généralement l’homme renie la réalité de la mort. Il se réfugie dans ce concept tout aussi inexpliqué : l’immortalité de son âme. Il refuse d’admettre que la réalité de la mort est une étape du processus de vie.

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Pour éviter toute connotation religieuse ou philosophique, il est d’usage de remplacer « âme » par « conscience », sans pour autant en donner une définition claire.  Il existe peu d’indices pour prouver que la « conscience » possède cette capacité de survivre à la mort, mais l’homme y croit dur comme fer, ou dur comme le granit des Pyramides!  L’histoire de l’humanité peut se résumer à cette quête d’éternité et ce désir d’expliquer, voire d’expulser, la mort.

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Pour faciliter cette survie ou encore pour la devancer, certains savants et même des auteurs de science-fiction, n’hésitent pas à avancer des théories de « transfert de conscience ». De richissimes entrepreneurs aux poches profondes, comme Musk et Balmer, des grandes entreprises, des universités, des fondations financent de telles recherches à coups de milliards. Tous prétendent être motivés par l’amélioration de la condition humaine, mais le véritable enjeu de cette quête est la recherche du profit et la domination du monde grâce à des instruments technologiques.

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La conscience pourra-t-elle un jour être transférée vers un autre être humain ou, projet encore plus ambitieux, vers une machine, un super-ordinateur? J.R. Dos Santos en a fait l’intrigue centrale de son livre Immortel (publié aux Éditions Hervé Chopin-2020). Concurremment, les avancées récentes en Intelligence Artificielle (IA) viennent appuyer cette thèse de science-fiction pour lui donner un caractère de faisabilité quasi-scientifique. 

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Illusion ou réalité ?  

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Il faudrait peut-être débuter la réflexion du transfert de la conscience par une définition de ce qu’elle est. Il faut reconnaitre que ce concept est difficile à cerner et sur lequel un consensus ne semble pas se faire. Interrogé, chat GPT donne une définition générale qui serait : « la capacité d'une personne à être consciente de ses pensées, émotions, sensations et expériences, ainsi que de l'existence de l'environnement et des autres personnes. ». La conscience est la capacité d’être conscient…une définition boiteuse, une tautologie vide de sens !

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Étienne Klein, philosophe des sciences réputé, avance que la conscience est une propriété émergente de l’homme et qui apparait à un certain niveau de complexité au sein de l’organisation des particules et des neurones qui forment son cerveau. À quel niveau de complexité cette conscience se manifeste? Pas de réponse…Est-ce une question de quantité et de capacité neuronale?  De capacité de traitement de l’information? Quantité ou qualité des arrangements des particules microscopiques qui se forment dans le cerveau? Pas de réponse…Savants, philosophes, auteurs de science-fiction, aucun n’aborde ces questions pourtant fondamentales, à mon avis.

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Tous semblent dirent qu’à un certain moment de l’évolution et de la constitution du cerveau, là où se manifeste le concept abstrait de conscience, celle-ci surgit soudainement, dépendamment de la « complexité organisationnelle » des réseaux neuronaux, comme un lapin qui sort du chapeau du magicien. Sans autre explication.

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Si tel est effectivement le cas, pourrait-on imaginer une graduation de la « complexité organisationnelle » qui résulterait à des niveaux allant de conscience faible à complexe?

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À cet égard, y-a-t-il des niveaux de conscience qui iraient de pair avec le degré de complexité des arrangements des particules constituantes?

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Serait-il possible d’imaginer que peut-être les animaux qui nous entourent possèdent des niveaux  de consciences « faibles »? Ou encore, des niveaux de complexité « différents » des nôtres et qui produiraient des niveaux de conscience différents de la nôtre? Ceci pourrait peut-être expliquer certains comportements d’animaux  que nous disons intelligents mais que nous plaçons plus bas dans l’échelle hiérarchique de la Nature, par rapport à nous et à notre anthropocentrisme courant?

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Dos Santos écrit : « À partir d’un certain niveau de complexité, la conscience émerge naturellement ». Le mot-clé ici est « naturellement ». Quant à moi, ce phénomène pour être naturel n’en demeure pas moins mystérieux et complexe. Avoir la prétention de le maitriser et de le transférer vers une machine demeure pour le moins difficile. 

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Nous sommes loin de la coupe aux lèvres…

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Un complément à la définition de la conscience… 

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Il me semble que la conscience humaine comporte une autre facette que celle de faire réaliser à l’homme la place qu’il occupe dans l’univers et qu’il est, par le fait même, vivant. La conscience est également ce qui lui fait réaliser sa mortalité.

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Avoir conscience de sa mort et de sa finitude incite à la vie tout organisme vivant et le pousse à se reproduire et à développer des stratégies d’adaptation et de survie. Ce sont des moyens d’échapper à la mort, de se projeter dans le temps et, finalement, d’être immortel. Et cela est vrai autant pour des organismes unicellulaires que pour des êtres humains dotés d’une « grande complexité ».

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Suivant ce complément à la définition de la conscience, la question se pose : une machine peut-elle être consciente? Peut-elle être consciente de sa mortalité? Même dotée d’algorithmes avancés, la machine ne peut posséder des émotions aussi complexes que celles d’un organisme vivant face à sa mort. En fait, elle n’en possède aucune.

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À mon avis, une machine peut décrire, classer, prioriser, évaluer des événements et des faits, suivant un programme donné. Elle ne peut pas leur donner un sens « affectif ». Par exemple, elle ne pourrait pas ressentir une joie, un échec, une perte, et encore moins ressentir celle de la mort d’un être cher ou envisager sa propre disparition. Aussi sophistiquée soit-elle, elle ne peut avoir conscience de sa mort.

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Une machine ne peut pas décrire la qualité de sa propre existence comme le ferait un être humain. Elle ne peut pas, comme lui, réaliser sa grandeur et son insignifiance face à l’univers. Cette caractéristique de l’homme de réaliser son exception et sa finitude est la source de sa grandeur. Cela, une machine ne pourra jamais l’acquérir. 

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Dans le célèbre film de Kubrik, 2001 : une odyssée de l’espace, l’astronaute pénètre dans le cerveau/ordinateur du vaisseau spatial et désamorce une à une les filières qui le constitue. À chaque manipulation, l’ordinateur supplie l’astronaute d’arrêter ce supplice en lui disant : « Arrête! Je le sens », comme un être humain que l’on torturerait…

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Si un jour lointain un tel transfert se produira, ce sera la fin de l’humanité telle que nous la connaissons!

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Conscience et machine : danger!

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Posons l’hypothèse que le transfert de la conscience vers une machine est faisable, que la technologie est suffisamment avancée pour le permettre. Postulons de plus, que ce transfert se fait dans le but ultime d’immortalité des êtres humains. Cela change la donne de façon fondamentale quant à la condition humaine (et sans doute animale), quant à son évolution et son épanouissement dans la durée.

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Transférer la conscience humaine dans le but de créer une race d’êtres vivants qui serait éternelle, voudrait dire freiner considérablement l’évolution naturelle des espèces. Cela impliquerait la disparition de la sélection naturelle, de l’évolution génétique et des mutations du domaine du vivant, phénomènes qui ont caractérisé l’histoire du monde. Les risques d’une telle transformation sont considérables et pourraient entrainer, à terme, la disparition de la race humaine et l’apparition d’une nouvelle race aux conditions inconnues. 

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Toujours dans l’hypothèse d’une transformation de l’homme qui aboutirait à un transfert de la conscience vers une machine, on pourrait imaginer des étapes graduelles, intermédiaires, entre l’étape « avant » et celle « après », « avant » étant la condition actuelle, que l’on pourrait qualifier de « normale » et « après » étant celle du transfert total de la conscience et que l’on pourrait qualifier d’« immortelle » ou encore d’ « humanité 2.0 ».  Entre ces deux extrêmes, pourrait-il y avoir des étapes intermédiaires, des sortes de zones grises, là où les hommes possèderont encore une part de conscience sans être totalement « immortels »? Pourrait-on se retrouver avec des êtres humains hybrides déjà branchés totalement sur des machines et bénéficiant d’hypothétiques avantages de l’immortalité, alors que d’autres ne seraient encore qu’aux premières étapes d’une telle transformation?

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Ces êtres humains hybrides disposeront de machines et de technologies sophistiquées sur lesquelles ils pourront compter pour gérer leurs pays et assurer en quelque sorte l’épanouissement de leurs populations.  

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Mais qu’arriverait-il si ces humains hybrides soi-disant « avancés » profitent de leur avantage concurrentiel acquis par des machines pour asservir le reste de la population du globe qui se trouverait encore dans les étapes intermédiaires de transformation? N’y-a-t-il pas danger que ces nouveaux êtres humains devenus immortels dominent le monde, pour le meilleur ou pour le pire, puisqu’ils disposeront d’instruments inaccessibles aux autres êtres humains?

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Considérations philosophiques

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Comment doter une machine de quelque chose de nébuleux et de mystérieux telle que la conscience, dont on ne connait pas les composantes ni le fonctionnement? 

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Même chez l’être humain, la conscience demeure inconnue, impénétrable et énigmatique. Elle est certainement bien plus que le résultat d’un agencement savant de molécules et d’échanges biochimiques et électriques complexes d’information entre neurones. 

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Les avancées technologiques comportent certainement des bienfaits mais également des risques considérables pour l’humanité dans son ensemble. Où sont donc les éthiciens, les philosophes et les penseurs qui devraient aussi participer à ce débat de société? Une pétition demandant une suspension temporaire de toute recherche dans ce domaine est comme un petit tas de sable sur la plage destiné à arrêter un tsunami!

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L’étude de l’IA et du transfert de la conscience devrait comprendre un débat sur deux éléments-clés : celle de l’origine de la vie et celle de la mort. Nous touchons ici à un point névralgique dans cette quête d’immortalité. Consciemment ou inconsciemment, cette question ne renvoie-t-elle pas à la question plus fondamentale de l’origine de l’Univers? Pour paraphraser les trois questions inscrites sur le célèbre tableau de Gauguin, et qui sont fondamentales à toute démarche philosophique : « D’où venons-nous? Que sommes-nous? Ou allons-nous? ». Quelle est notre origine et quelle est notre destination?

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Vouloir atteindre l’immortalité par le transfert de la conscience est une idée potentiellement séduisante, sans aucun doute. Après tout, n’est-ce pas là la réalisation du vieux rêve de l’humanité? 

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Mais à quel prix?

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Guy Djandji

Avril 2023

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